jeudi 29 mai 2008
Interlude dans le Kesrouan
Un gros rat se faufile entre les pierres massives des ruines de Fakra dans le Kesrouan. Une grande tour carrée datant de 355 de l’ère séleucide (43 ap. J.C), vouée au culte de l’empereur Claudius associé au dieu local Belgalassos. On s’attarde au sommet, quelques mèches de nuages s’accrochent au bleu violacé du ciel bientôt embrasé par le soleil couchant. Je suis dans un poème de Lamartine. Des nappes de brouillard remontent en spirale du fond de la vallée, enveloppent les rochers puis les pins parasoles et enfin les cimes. Je suis dans un tableau de Turner. Enrobée de brume rouge et or, le cœur saturé de nostalgie.
Scoop
Sarkozy débarque au Liban. Tout Beyrouth est au courant. A cette occasion, quelques privilégiés s’occupant de sa venue ont découvert une facette du nouveau président le la République libanaise. Sous ces airs de ptit père bonnard, le général Sleiman cache un intérêt certain pour la gente féminine.
Je tiens en effet de source informée qu’au cours de son entrevue de préparation avec l’ambassadeur de France, en préambule à toute autre question sur l’avenir des relations franco-libanaises, le président Michel Sleiman a demandé si Carla serait du voyage. Ben, non pas de bol, la première Dame de France concocte son prochain album, elle n’a pas le temps d’accompagner Nicolas ! Il parait qu’il était très déçu le général. J’imagine l’ex-mannequin déambulant sur la corniche sous le crépitement des flashes, en tournée dans la Dahyeh (QG du hezbollah), où elle ferait tourner la tête des barbus, en duo avec Feyrouz : la diva libanaise au timbre chaud et la minette française aux chuchotements inaudibles.
Allez, général, Nicolas a sagement préféré ne pas vous distraire de la lourde tâche qui vous incombe. Courage.
Je tiens en effet de source informée qu’au cours de son entrevue de préparation avec l’ambassadeur de France, en préambule à toute autre question sur l’avenir des relations franco-libanaises, le président Michel Sleiman a demandé si Carla serait du voyage. Ben, non pas de bol, la première Dame de France concocte son prochain album, elle n’a pas le temps d’accompagner Nicolas ! Il parait qu’il était très déçu le général. J’imagine l’ex-mannequin déambulant sur la corniche sous le crépitement des flashes, en tournée dans la Dahyeh (QG du hezbollah), où elle ferait tourner la tête des barbus, en duo avec Feyrouz : la diva libanaise au timbre chaud et la minette française aux chuchotements inaudibles.
Allez, général, Nicolas a sagement préféré ne pas vous distraire de la lourde tâche qui vous incombe. Courage.
mardi 27 mai 2008
Jours d'allegresse
L’émir du Qatar a sifflé la fin de la récré et tout le monde est rentré dans le rang. Terminées les conneries ! Sur la route de l’aéroport, une affiche exprime la gratitude des Libanais envers le cheikh qatari Hamad ben Khalifa. La Banque Audi en profite aussi pour faire sa publicité et ressort les mêmes affiches représentant un soleil rayonnant qu’elle avait déjà utilisées pour célébrer la fin des 33 jours de guerre en 2006. Les institutions financières aiment recycler.
Difficile d’échapper à l’image omniprésente du général Sleimane, roide dans son uniforme et sous sa casquette pinochesque mais au look de bon père de famille un peu terne en tenue de civil. Dès le samedi, des calicots aux couleurs du Liban fleurissent tout le long de la route côtière qui mène de Beyrouth à Amchit, le village du futur Président. Chaque banderole félicite le général qui ne sera pourtant élu que le dimanche par 118 voix sur 127 ! J'assiste à ma première leçon de démocratie consensuelle à la libanaise.
Depuis une semaine, il règne à Beyrouth et surtout dans le Centre ville, une atmosphère d'allégresse, doux mélange de légèreté et de liesse populaire. On lâche des ballons blancs, on suçote une glace Haagen-Das sur la place de l’Etoile, un trouffion m’offre une fleur de gardénia. La fiesta continue lundi. Je n’arrive pas à distinguer les tirs des feux d’artifices des tirs de joie ni des tirs tout court sur la Corniche Mazraa où des accrochages entre le Courant du Futur et le Hezbollah font seize blessés. Chaque fois, le cœur fait boum. Ma décision est prise, je vais boycotter les belles bleus et les belles rouges du 14 juillet.
La fête se poursuit encore mardi puisque je réussis l'examen d'arabe me permettant de passer dans la classe supérieure. Je gratte tous les points dans l’exercice sur les formules de politesse. Un sans faute en toute modestie. Il faut dire que je les répète tous les soir avant de m’endormir à la place de la prière : Dieu y trouve son compte de toute façon ; que l’on mange, que l’on voyage, que l’on se couche, que l’on se réveille, que l'on b...., rares sont les occasions où l'on omet de convoquer le Très Haut : Allah Issalmak, Alla marak, Katter kheir Allah, Allah iwasselak bikheir, Inshallah betruh u btji bessalame.
Difficile d’échapper à l’image omniprésente du général Sleimane, roide dans son uniforme et sous sa casquette pinochesque mais au look de bon père de famille un peu terne en tenue de civil. Dès le samedi, des calicots aux couleurs du Liban fleurissent tout le long de la route côtière qui mène de Beyrouth à Amchit, le village du futur Président. Chaque banderole félicite le général qui ne sera pourtant élu que le dimanche par 118 voix sur 127 ! J'assiste à ma première leçon de démocratie consensuelle à la libanaise.
Depuis une semaine, il règne à Beyrouth et surtout dans le Centre ville, une atmosphère d'allégresse, doux mélange de légèreté et de liesse populaire. On lâche des ballons blancs, on suçote une glace Haagen-Das sur la place de l’Etoile, un trouffion m’offre une fleur de gardénia. La fiesta continue lundi. Je n’arrive pas à distinguer les tirs des feux d’artifices des tirs de joie ni des tirs tout court sur la Corniche Mazraa où des accrochages entre le Courant du Futur et le Hezbollah font seize blessés. Chaque fois, le cœur fait boum. Ma décision est prise, je vais boycotter les belles bleus et les belles rouges du 14 juillet.
La fête se poursuit encore mardi puisque je réussis l'examen d'arabe me permettant de passer dans la classe supérieure. Je gratte tous les points dans l’exercice sur les formules de politesse. Un sans faute en toute modestie. Il faut dire que je les répète tous les soir avant de m’endormir à la place de la prière : Dieu y trouve son compte de toute façon ; que l’on mange, que l’on voyage, que l’on se couche, que l’on se réveille, que l'on b...., rares sont les occasions où l'on omet de convoquer le Très Haut : Allah Issalmak, Alla marak, Katter kheir Allah, Allah iwasselak bikheir, Inshallah betruh u btji bessalame.
jeudi 22 mai 2008
Amoureux à distance
La boite mail est vide.
Enfin pas tout à fait. J’ai reçu ce jour 25 messages, mais pas un signe de Lui.
Il est 18h34. En France, avec le décalage, c’est vrai qu’il est plus tôt, 17h34. Il doit faire ses courses à Auchan, peser ses tomates, choisir ses yaourts, le temps qu’il rentre, se gare, ok, je lui laisse un répit.
18h47, toujours rien. Le cœur se serre. Je relis un ancien message. C’est bon, il dit qu’il m’aime. Ce serait dingue qu’il change d’avis en vingt-quatre heures.
Quand même, 19h21, je me sens mal. Je me plonge dans L’Orient-le-Jour, relis trois fois cet article sur la baisse de popularité de Sarkozy mais je me fiche de Nicolas, je veux des nouvelles de P. Je pressens la nuit blanche, les heures qui s’égrènent, l’obscurité hostile.
Je suis crevée. J’ai pas sommeil.
Un épisode de Desperate Housewives, une plaque de chocolat, la télépathie. Salaud, il m’oublie !
6h du mat, épuisée, je m’endors sur l’ordinateur.
Le lendemain, j’ai la migraine et la bouche pâteuse. Un clic sur ma messagerie, un mail, c’est Lui à 6h05 : « ça va mon cœur ? Sans nouvelle de toi, je ne dors pas. Tu m’oublies l'hirondelle ? »
Enfin pas tout à fait. J’ai reçu ce jour 25 messages, mais pas un signe de Lui.
Il est 18h34. En France, avec le décalage, c’est vrai qu’il est plus tôt, 17h34. Il doit faire ses courses à Auchan, peser ses tomates, choisir ses yaourts, le temps qu’il rentre, se gare, ok, je lui laisse un répit.
18h47, toujours rien. Le cœur se serre. Je relis un ancien message. C’est bon, il dit qu’il m’aime. Ce serait dingue qu’il change d’avis en vingt-quatre heures.
Quand même, 19h21, je me sens mal. Je me plonge dans L’Orient-le-Jour, relis trois fois cet article sur la baisse de popularité de Sarkozy mais je me fiche de Nicolas, je veux des nouvelles de P. Je pressens la nuit blanche, les heures qui s’égrènent, l’obscurité hostile.
Je suis crevée. J’ai pas sommeil.
Un épisode de Desperate Housewives, une plaque de chocolat, la télépathie. Salaud, il m’oublie !
6h du mat, épuisée, je m’endors sur l’ordinateur.
Le lendemain, j’ai la migraine et la bouche pâteuse. Un clic sur ma messagerie, un mail, c’est Lui à 6h05 : « ça va mon cœur ? Sans nouvelle de toi, je ne dors pas. Tu m’oublies l'hirondelle ? »
mercredi 21 mai 2008
Aujourd'hui le coeur est à la fête
Eh ben voilà ! Enfournez dans un avion toutes les parties en conflit, faites les rôtir sous le soleil de Doha, ajoutez une bonne dose d’exaspération de la population libanaise, décortiquez les problèmes essentiels, ôtez les politiciens de leur environnement milicien, faites-les marner dans leur jus et vous obtiendrez : une élection présidentielle prévue pour dimanche, la formation d’un gouvernement d’union nationale (16 ministres pour la majorité, 11 pour l’opposition et 3 nommés par le chef d’Etat libanais), l’adoption de la loi électorale de 1960, la levée de l’occupation du centre-ville qui durait depuis plus d’un an et l’engagement des uns et des autres à ne pas utiliser les armes pour résoudre leurs différends politiques.
Soixante-cinq morts et deux cents blessés, selon le bilan officiel, pour parvenir à cet accord sans compter les traces laissées par les combats récents qui se superposent et réactivent une mémoire de la guerre civile jamais apaisée car non encore dégoupillée. Seuls certains mouvements de la société civile tentent de faire émerger cette mémoire conflitcuelle en établissant les faits, en constituant des archives, en suscitant les témoignages… Mais, blanchis par l'amnistie générale de 1991, les chefs de guerre de l’époque n'ont pas lâché le pouvoir. Erigeant l'oubli comme politique, ces zaïms font tout pour verrouiller la boite de Pandore qui risquerait de leur péter à la figure.
Allez aujourd'hui, le cœur est à la fête, Beyrouth soupire de soulagement. Pourtant les cicatrices sont plus profondes que les quelques impacts de balles dessinant des étoiles dans certaines vitrines de Hamra.
Journaliste, Mona travaille dans un quotidien d’opposition. Coquette et chiite, elle est fidèle au même magasin de fringues dont la patronne est sunnite. Cette « identité » communautaire n'a jamais empêché ni la première d’acheter ni la seconde de vendre ni les deux de papoter amicalement. Mais cette semaine, quand ma copine rentre dans le magasin, à son « marhaba » répond un silence glacial. La patronne lui jette : « nous allons vous traquer jusque dans vos maisons, vous et vos amis du Hezbollah. Et nous vous tuerons ».
Vocabulaire de la colère, mots exutoires certes, mais chargés d’une telle violence !
Allez, aujourd’hui, le cœur est à la fête, Sirène nous annonce un bébé pour janvier. Si les tentes du centre-ville sont démontées, si les restaurants branchés qui ont fermé à cause de l'occupation de l'opposition depuis 2006 ouvrent leur porte, on ira place de l'Etoile porter un toast à la paix, à la reprise économique et au futur rejeton de Sirène et Bassem.
Soixante-cinq morts et deux cents blessés, selon le bilan officiel, pour parvenir à cet accord sans compter les traces laissées par les combats récents qui se superposent et réactivent une mémoire de la guerre civile jamais apaisée car non encore dégoupillée. Seuls certains mouvements de la société civile tentent de faire émerger cette mémoire conflitcuelle en établissant les faits, en constituant des archives, en suscitant les témoignages… Mais, blanchis par l'amnistie générale de 1991, les chefs de guerre de l’époque n'ont pas lâché le pouvoir. Erigeant l'oubli comme politique, ces zaïms font tout pour verrouiller la boite de Pandore qui risquerait de leur péter à la figure.
Allez aujourd'hui, le cœur est à la fête, Beyrouth soupire de soulagement. Pourtant les cicatrices sont plus profondes que les quelques impacts de balles dessinant des étoiles dans certaines vitrines de Hamra.
Journaliste, Mona travaille dans un quotidien d’opposition. Coquette et chiite, elle est fidèle au même magasin de fringues dont la patronne est sunnite. Cette « identité » communautaire n'a jamais empêché ni la première d’acheter ni la seconde de vendre ni les deux de papoter amicalement. Mais cette semaine, quand ma copine rentre dans le magasin, à son « marhaba » répond un silence glacial. La patronne lui jette : « nous allons vous traquer jusque dans vos maisons, vous et vos amis du Hezbollah. Et nous vous tuerons ».
Vocabulaire de la colère, mots exutoires certes, mais chargés d’une telle violence !
Allez, aujourd’hui, le cœur est à la fête, Sirène nous annonce un bébé pour janvier. Si les tentes du centre-ville sont démontées, si les restaurants branchés qui ont fermé à cause de l'occupation de l'opposition depuis 2006 ouvrent leur porte, on ira place de l'Etoile porter un toast à la paix, à la reprise économique et au futur rejeton de Sirène et Bassem.
samedi 17 mai 2008
De la vie, de la mort
« Mabrouk ! Ils se sont mis d’accord, vont rouvrir l’aéroport, peut-être élire un président et même débloquer le centre-ville ». Une rafale de bonnes nouvelles annoncées par la voix douce, grave et un peu traînante d’Iskandar. « Allez, on va fêter ça ! » Mon ami arrose la paix comme il arrosait la guerre hier, avec dérision et une infinie mélancolie.
Sur la route de l’aéroport, des militants du mouvement Khalas (arrétez) brandissent des pancartes à l'intention des politiciens libanais partis régler leur compte à Qatar : « Si vous ne vous mettez pas d’accord, ne rentrez pas !»
Les diplomates qataris ont réussi à réunir les freres ennemis en quelques jours, exploit que ni les efforts de l’émissaire de la Ligue arabe, ni notre Kouchner national n’était parvenu à relever. Ce nœud politique, apparemment si complexe, va-t-il se dénouer d'un coup comme celui du magicien qu'un souffle fait disparaitre ?
Dehors dans la rue, un jeune Palestinien m’offre une bougie à allumer à l’occasion des soixante ans de la Nakbah (la catastrophe). La naissance de l’Etat hébreux en 1948 commémorée dans la liesse chez les Israéliens est jour de tristesse pour les Palestiniens. Le vent éteint trop vite les fragiles flammèches qu’une poignée de militants tentent d’allumer au coin de la rue Jeanne d’Arc et de la rue Hamra.
La paix, la guerre la vie et la mort en concentré pendant une semaine.
Les grands et petits drames : les enfants de mon prof d'arabe, Camille (8 ans) et Cyril (12 ans), font aussi leur deuil. Ils ont perdu le poisson rouge offert à un anniversaire par un copain. L’animal a-t-il succombé au stress ambiant, au bruit des tirs d’armes automatiques ? « Hum, je crois plutôt que c’est une indigestion qui l’a fait clamser », confie le père. Un moment, ému par les hurlements du cadet, il a pensé subtiliser le poisson pour l’échanger vite-fait contre un jumeau en invoquant une prétendue résurrection. « Mais la mort fait partie de la vie et les enfants doivent un jour où l’autre y être confrontés, surtout ici ». Le paternel a donc juste proposé le rachat d’un cétacé. Avec son goût pour les démonstrations théâtrales et les paroles définitives, Camille proclame solennellement : « Jamais je n'aurai d’autre animal, celui-là est irrrrrremplaçable. » Cyril, davantage porté à l’intériorité, soupire : « C’est notre premier décès en direct. Grand-Mère, ca compte pas, c’était en France ».
Dehors, des klaxons annoncent la reprise de la vie normale à Beyrouth. Comme les embouteillages, je les accueille avec reconnaissance et soulagement.
Sur la route de l’aéroport, des militants du mouvement Khalas (arrétez) brandissent des pancartes à l'intention des politiciens libanais partis régler leur compte à Qatar : « Si vous ne vous mettez pas d’accord, ne rentrez pas !»
Les diplomates qataris ont réussi à réunir les freres ennemis en quelques jours, exploit que ni les efforts de l’émissaire de la Ligue arabe, ni notre Kouchner national n’était parvenu à relever. Ce nœud politique, apparemment si complexe, va-t-il se dénouer d'un coup comme celui du magicien qu'un souffle fait disparaitre ?
Dehors dans la rue, un jeune Palestinien m’offre une bougie à allumer à l’occasion des soixante ans de la Nakbah (la catastrophe). La naissance de l’Etat hébreux en 1948 commémorée dans la liesse chez les Israéliens est jour de tristesse pour les Palestiniens. Le vent éteint trop vite les fragiles flammèches qu’une poignée de militants tentent d’allumer au coin de la rue Jeanne d’Arc et de la rue Hamra.
La paix, la guerre la vie et la mort en concentré pendant une semaine.
Les grands et petits drames : les enfants de mon prof d'arabe, Camille (8 ans) et Cyril (12 ans), font aussi leur deuil. Ils ont perdu le poisson rouge offert à un anniversaire par un copain. L’animal a-t-il succombé au stress ambiant, au bruit des tirs d’armes automatiques ? « Hum, je crois plutôt que c’est une indigestion qui l’a fait clamser », confie le père. Un moment, ému par les hurlements du cadet, il a pensé subtiliser le poisson pour l’échanger vite-fait contre un jumeau en invoquant une prétendue résurrection. « Mais la mort fait partie de la vie et les enfants doivent un jour où l’autre y être confrontés, surtout ici ». Le paternel a donc juste proposé le rachat d’un cétacé. Avec son goût pour les démonstrations théâtrales et les paroles définitives, Camille proclame solennellement : « Jamais je n'aurai d’autre animal, celui-là est irrrrrremplaçable. » Cyril, davantage porté à l’intériorité, soupire : « C’est notre premier décès en direct. Grand-Mère, ca compte pas, c’était en France ».
Dehors, des klaxons annoncent la reprise de la vie normale à Beyrouth. Comme les embouteillages, je les accueille avec reconnaissance et soulagement.
jeudi 15 mai 2008
Bach, Régina, Ali, Leïla et Chopin
Depuis une semaine, j’écoute Bach tous les matins. Bach contre ce mail morbide de mon club de randonnée qui annonce le décès de marcheurs pendant les événements. Bach contre la mort de deux voisins de Nicolas à Ras el-Nabeh. Bach contre la tentation de se terrer pour mater des DVD. Bach contre la mélancolie.
Pendant les tirs, c’était la panique, aujourd’hui, la tristesse.
Surtout ne pas se laisser envahir par la peur et l’oisiveté.
Régina Sneifer vit dans la banlieue parisienne mais se trouve coincée par les événements à Beyrouth. Elle m’invite à déjeuner au Chase, place Sassine. Toujours élégante dans son corsage violet, avec ses lunettes de soleil légèrement fumées, cette femme a de la classe. Régina a publié un livre intitulé J’ai déposé les armes qu’il faut lire. Une brèche dans le mur du silence entourant la guerre civile de 1975-90. Elle y reconnaît avec courage sa part de responsabilité dans ce conflit qui déchira le pays du Cèdre.
Née en 1962, à Hadath, un village au Sud de Beyrouth, elle évolue dans un environnement exclusivement maronite, « jusqu’à 13 ans, je vis à l’école un ennui docile qui paralyse ma pensée sans que j’en ai conscience », écrit-elle. Elle ignore tout de l’autre Liban, celui des sunnites, des chiites, des druzes. Parfois, elle entend que les réfugiés palestiniens, au nombre de 400 000, ne rêvent que de jeter les maronites à la mer… Rumeurs, peurs, désinformations, méconnaissance bercent cette enfance malgré un climat familial chaleureux, un père surtout magnifique et généreux. Et puis, le 13 avril 1975, la guerre civile éclate. Les milices se forment. La famille Sneifer se réfugie en montagne, repliée dans des abris de fortune, grenier peuplé de souris effrayante pour la petite fille ou cave infestée de cafards.
Pour se rendre utile, rester « vivante », elle propose ses services, ramasse les ordures, distribue le pain. En 1980, à 17 ans, elle franchit encore un pas en s’engageant dans la milice chrétienne de Béchir Gemayel. Elle pense ainsi défendre sa famille, sa patrie, sa foi et passe des transmissions à un réel entraînement militaire. A la mort de Béchir, elle suit un autre chef, Samir Geagea mais se sent vite mal à l’aise. Lorsque les factions chrétiennes se déchirent, la jeune milicienne commence à douter. Quel est le sens de son combat ? Vaut-il tous les carnages, la mort de ses amis proches ? Des camarades de combat sont victimes de purges internes liés aux combats fratricides entre Hobeika et Geagea. La jeune femme les visite en prison, les découvre torturés. Le doute se transforme en sentiment d'horreur. Un jour de 1986, elle apprend que des prisonniers, dont son ami Loubnane, ont été noyés, sur ordre de Samir Geagea. C’est la rupture. Régina quitte le Liban, tente de survivre puis de vivre en France, loin de la guerre et de ses souvenirs.
Vingt ans plus tard, on lui apprend que la mère de Loubnane est décédée d’un cancer au village. Cette vieille femme est morte dans l’ignorance du sort de son fils « disparu » alors que Régina, elle, savait qu’il avait été « balancé avec un poids à la mer ». Elle détenait une information qui aurait pu permettre à cette femme de faire son deuil, de trouver une certaine paix. Cette prise de conscience la décide à sortir du silence. Régina Sneifer commence à écrire son témoignage. Et c'est bouleversant.
En picorant nos salades, nous évoquons la situation actuelle qui risque de faire replonger le Liban dans cette guerre dont elle vient de m’exposer toute l’absurdité. La donne est bien différente (aujourd'hui les clivages ne sont plus entre chrétiens et musulmans et la réalité palestinienne n'est pas sur le devant de la scène), en revanche, la concentration des problèmatiques locales, régionales et internationales reste une constante.
Pour le café, je retrouve Ali Atassi, un journaliste syrien rencontré au hasard de mes pérégrinations moyen-orientales. Fils d’un homme politique qui a croupi dans les geôles d’Hafez El Assad pendant des années, Ali a longtemps conservé une admiration mêlé de ressentiment à l’égard de son père qui, sitôt libéré est mort d’une leucémie.. C’est en tournant une vidéo avec, et sur, Riad al-Turk, le plus vieux prisonnier syrien, qu’il s’est guéri de ses fantômes. Face à l’ex-détenu, le journaliste a posé toutes les questions qui le travaillaient depuis tant d’années. Un militant politique peut-il sacrifier sa famille à sa Cause et priver la chair de sa chair d’une présence ? Le film de ce dialogue est presque insoutenable de sincérité. Ali ne fait jamais dans la dentelle : il aime provoquer, dit ce qu’il pense et sort une vanne qui touche dans le mille. Désormais père d’un petit Nour, ce Syrien francophone vit dans Hamra et collabore à la rubrique littéraire d’Al Nahar.
Il me lance :
« Alors, tu as déménagé de ton piège à rat ? »
« Ben non, j’habite toujours chez Zico, mais ne t’inquiète pas, il y a un blindé devant chez moi ! »
« Génial, autant te protéger avec une petite cuillère. »
A l'heure du thé, j'ai rendez-vous avec Leïla qui a lancé une discussion sur les violences de ces derniers jours dans sa classe de terminale. « Je veux qu’ils exorcisent cette expérience traumatisante.» Elle ne s’éloigne pas beaucoup du programme officiel qui demande d’évoquer les moyens de propagande des totalitarismes. Ici, pendant les combats, entre les nouvelles diffusées par la télévision du Hezbollah et celle du Courant du Futur, comment disposer d’informations fiables. Mercredi, la chaîne du parti chiite Al Manar a transmis une vidéo montrant des tortures horribles commises dans la ville de Halba (Akkar) par des pro-Hariri sur des militants du Parti Socialiste National Syrien. Huit seraient morts, deux se seraient réfugiés à l’hôpital. La vidéo aurait été tournée à l’aide d’un téléphone portable. Vrai ou faux ? Un journaliste de l’Associated Press me confirme les faits mais non la responsabilité du Courant du Futur.
Depuis une semaine, tous les soirs, je m’endors avec Chopin.
Pendant les tirs, c’était la panique, aujourd’hui, la tristesse.
Surtout ne pas se laisser envahir par la peur et l’oisiveté.
Régina Sneifer vit dans la banlieue parisienne mais se trouve coincée par les événements à Beyrouth. Elle m’invite à déjeuner au Chase, place Sassine. Toujours élégante dans son corsage violet, avec ses lunettes de soleil légèrement fumées, cette femme a de la classe. Régina a publié un livre intitulé J’ai déposé les armes qu’il faut lire. Une brèche dans le mur du silence entourant la guerre civile de 1975-90. Elle y reconnaît avec courage sa part de responsabilité dans ce conflit qui déchira le pays du Cèdre.
Née en 1962, à Hadath, un village au Sud de Beyrouth, elle évolue dans un environnement exclusivement maronite, « jusqu’à 13 ans, je vis à l’école un ennui docile qui paralyse ma pensée sans que j’en ai conscience », écrit-elle. Elle ignore tout de l’autre Liban, celui des sunnites, des chiites, des druzes. Parfois, elle entend que les réfugiés palestiniens, au nombre de 400 000, ne rêvent que de jeter les maronites à la mer… Rumeurs, peurs, désinformations, méconnaissance bercent cette enfance malgré un climat familial chaleureux, un père surtout magnifique et généreux. Et puis, le 13 avril 1975, la guerre civile éclate. Les milices se forment. La famille Sneifer se réfugie en montagne, repliée dans des abris de fortune, grenier peuplé de souris effrayante pour la petite fille ou cave infestée de cafards.
Pour se rendre utile, rester « vivante », elle propose ses services, ramasse les ordures, distribue le pain. En 1980, à 17 ans, elle franchit encore un pas en s’engageant dans la milice chrétienne de Béchir Gemayel. Elle pense ainsi défendre sa famille, sa patrie, sa foi et passe des transmissions à un réel entraînement militaire. A la mort de Béchir, elle suit un autre chef, Samir Geagea mais se sent vite mal à l’aise. Lorsque les factions chrétiennes se déchirent, la jeune milicienne commence à douter. Quel est le sens de son combat ? Vaut-il tous les carnages, la mort de ses amis proches ? Des camarades de combat sont victimes de purges internes liés aux combats fratricides entre Hobeika et Geagea. La jeune femme les visite en prison, les découvre torturés. Le doute se transforme en sentiment d'horreur. Un jour de 1986, elle apprend que des prisonniers, dont son ami Loubnane, ont été noyés, sur ordre de Samir Geagea. C’est la rupture. Régina quitte le Liban, tente de survivre puis de vivre en France, loin de la guerre et de ses souvenirs.
Vingt ans plus tard, on lui apprend que la mère de Loubnane est décédée d’un cancer au village. Cette vieille femme est morte dans l’ignorance du sort de son fils « disparu » alors que Régina, elle, savait qu’il avait été « balancé avec un poids à la mer ». Elle détenait une information qui aurait pu permettre à cette femme de faire son deuil, de trouver une certaine paix. Cette prise de conscience la décide à sortir du silence. Régina Sneifer commence à écrire son témoignage. Et c'est bouleversant.
En picorant nos salades, nous évoquons la situation actuelle qui risque de faire replonger le Liban dans cette guerre dont elle vient de m’exposer toute l’absurdité. La donne est bien différente (aujourd'hui les clivages ne sont plus entre chrétiens et musulmans et la réalité palestinienne n'est pas sur le devant de la scène), en revanche, la concentration des problèmatiques locales, régionales et internationales reste une constante.
Pour le café, je retrouve Ali Atassi, un journaliste syrien rencontré au hasard de mes pérégrinations moyen-orientales. Fils d’un homme politique qui a croupi dans les geôles d’Hafez El Assad pendant des années, Ali a longtemps conservé une admiration mêlé de ressentiment à l’égard de son père qui, sitôt libéré est mort d’une leucémie.. C’est en tournant une vidéo avec, et sur, Riad al-Turk, le plus vieux prisonnier syrien, qu’il s’est guéri de ses fantômes. Face à l’ex-détenu, le journaliste a posé toutes les questions qui le travaillaient depuis tant d’années. Un militant politique peut-il sacrifier sa famille à sa Cause et priver la chair de sa chair d’une présence ? Le film de ce dialogue est presque insoutenable de sincérité. Ali ne fait jamais dans la dentelle : il aime provoquer, dit ce qu’il pense et sort une vanne qui touche dans le mille. Désormais père d’un petit Nour, ce Syrien francophone vit dans Hamra et collabore à la rubrique littéraire d’Al Nahar.
Il me lance :
« Alors, tu as déménagé de ton piège à rat ? »
« Ben non, j’habite toujours chez Zico, mais ne t’inquiète pas, il y a un blindé devant chez moi ! »
« Génial, autant te protéger avec une petite cuillère. »
A l'heure du thé, j'ai rendez-vous avec Leïla qui a lancé une discussion sur les violences de ces derniers jours dans sa classe de terminale. « Je veux qu’ils exorcisent cette expérience traumatisante.» Elle ne s’éloigne pas beaucoup du programme officiel qui demande d’évoquer les moyens de propagande des totalitarismes. Ici, pendant les combats, entre les nouvelles diffusées par la télévision du Hezbollah et celle du Courant du Futur, comment disposer d’informations fiables. Mercredi, la chaîne du parti chiite Al Manar a transmis une vidéo montrant des tortures horribles commises dans la ville de Halba (Akkar) par des pro-Hariri sur des militants du Parti Socialiste National Syrien. Huit seraient morts, deux se seraient réfugiés à l’hôpital. La vidéo aurait été tournée à l’aide d’un téléphone portable. Vrai ou faux ? Un journaliste de l’Associated Press me confirme les faits mais non la responsabilité du Courant du Futur.
Depuis une semaine, tous les soirs, je m’endors avec Chopin.
mercredi 14 mai 2008
Tous ces fous mangent du vent
La vie reprend, convalescente.
Chacun pose doctement son pronostique. Zico estime que le gouvernement a titillé le Hezbollah pour le faire sortir de son trou et le pousser à se compromettre en tirant sur des Libanais alors que ce parti avait promis de ne jamais retourner les armes contre son propre peuple, réservant son feu à l’ennemi israélien. Pour mon propriétaire, ex-milicien communiste pendant la guerre civile et souvent assez bon analyste, le Hezbollah a donc vaincu militairement mais perdu en légitimité. «Ensuite, dimanche, en s’attaquant à la montagne druze et à Walid Joumblatt, le parti de Dieu a voulu élargir le glacis protecteur de la Dahye dans la banlieue sud », affirme Zico qui prophétise des négociations rapides puisque toutes les cartes sont sur la table.
Pour Michel, le silence étonnant des Etats-Unis, qui ne manquent jamais l’occasion de lancer des diatribes anti-Hezbollah, fait penser à un deal américano-iranien. Certains l’ont compris et en tirent les conséquences en rendant les armes comme Joumblatt, certains l’ont compris et hésitent comme Hariri et d’autres l’ont compris mais veulent résister à l’instar de Geagea. Si ce dernier s’entête, alors on aura un deuxième round.
Mohammed, un homme en chaise roulante que l’on croise souvent à Hamra me confie, poète, « tous ces fous mangent le vent ».
Quant au chauffeur de taxi, il peste contre les sacs de sables et les barbelés qui font ressembler la conduite à un gymcana.
Partir ou rester. L’aéroport est toujours fermé. Les motivés passent en Syrie par la route du Hermel. Mon amie Hala, engagée par l’Onu pour travailler au Kosovo, a tenté sa chance dès samedi. Elle doit être en France aujourd’hui. Mais les listes d’attente sont longues pour partir de Damas. Charles ira plus loin, en Australie où il compte monter un restaurant gastronomique...chinois. Moi je reste. Le Liban m’a tant donné depuis neuf mois que je ne veux pas quitter le navire en ce moment. Comment le faire comprendre à ceux que j’aime en France.
Chaque soir, avec Leïla, nous faisons le point sur la journée au Baromètre, un bar ou l'on ecoute les chansons de Souad Massi, Marcel Khalifé, Ziad Rabbani et qui sert le meilleur Fattouche de Beyrouth. Je reçois un texto d’une amie journaliste. « Attention, le quartier se tend. Ne rentre pas seule ». Un client du bar, milicien du Parti Socialiste National Syrien se propose de nous ramener. En face de la maison, un blindé tient la garde. Je devrais être rassurée mais vu passivité de l’Armée jeudi dernier je le suis à demi.
Chacun pose doctement son pronostique. Zico estime que le gouvernement a titillé le Hezbollah pour le faire sortir de son trou et le pousser à se compromettre en tirant sur des Libanais alors que ce parti avait promis de ne jamais retourner les armes contre son propre peuple, réservant son feu à l’ennemi israélien. Pour mon propriétaire, ex-milicien communiste pendant la guerre civile et souvent assez bon analyste, le Hezbollah a donc vaincu militairement mais perdu en légitimité. «Ensuite, dimanche, en s’attaquant à la montagne druze et à Walid Joumblatt, le parti de Dieu a voulu élargir le glacis protecteur de la Dahye dans la banlieue sud », affirme Zico qui prophétise des négociations rapides puisque toutes les cartes sont sur la table.
Pour Michel, le silence étonnant des Etats-Unis, qui ne manquent jamais l’occasion de lancer des diatribes anti-Hezbollah, fait penser à un deal américano-iranien. Certains l’ont compris et en tirent les conséquences en rendant les armes comme Joumblatt, certains l’ont compris et hésitent comme Hariri et d’autres l’ont compris mais veulent résister à l’instar de Geagea. Si ce dernier s’entête, alors on aura un deuxième round.
Mohammed, un homme en chaise roulante que l’on croise souvent à Hamra me confie, poète, « tous ces fous mangent le vent ».
Quant au chauffeur de taxi, il peste contre les sacs de sables et les barbelés qui font ressembler la conduite à un gymcana.
Partir ou rester. L’aéroport est toujours fermé. Les motivés passent en Syrie par la route du Hermel. Mon amie Hala, engagée par l’Onu pour travailler au Kosovo, a tenté sa chance dès samedi. Elle doit être en France aujourd’hui. Mais les listes d’attente sont longues pour partir de Damas. Charles ira plus loin, en Australie où il compte monter un restaurant gastronomique...chinois. Moi je reste. Le Liban m’a tant donné depuis neuf mois que je ne veux pas quitter le navire en ce moment. Comment le faire comprendre à ceux que j’aime en France.
Chaque soir, avec Leïla, nous faisons le point sur la journée au Baromètre, un bar ou l'on ecoute les chansons de Souad Massi, Marcel Khalifé, Ziad Rabbani et qui sert le meilleur Fattouche de Beyrouth. Je reçois un texto d’une amie journaliste. « Attention, le quartier se tend. Ne rentre pas seule ». Un client du bar, milicien du Parti Socialiste National Syrien se propose de nous ramener. En face de la maison, un blindé tient la garde. Je devrais être rassurée mais vu passivité de l’Armée jeudi dernier je le suis à demi.
lundi 12 mai 2008
La première communion
Malgré les événements, la Première communion de Camille est maintenue, à l’Eglise St Antoine de Padoue, dans le quartier de Sin El Fil. Un taxi m’extorque le double d’une course normale pour traverser la ligne de démarcation entre l’Est et l’Ouest.
Dans ce Beyrouth chrétien et francophone flotte un air de France des années 60. On s’appelle Charles, Rosette, Jocelyne, Thérèse. On fait reprendre son tailleur chez le « stoppeur ». Les communiants sont en aubes et les communiantes portent des couronnes de fleurs. Dans cette église moderne et claire, je me recueille, prenant soudain conscience qu’au cours de cette nuit terrible du 8 mai, pas un moment je n’ai pensé à Dieu. Il est si loin, ou plutôt, je suis encore si loin de lui…
Depuis quelques temps, l’Eglise libanaise a « confisqué » l’organisation des communions aux écoles afin qu’elles se fassent dans les paroisses. Les mauvaises langues diront qu’elle récupère ainsi un marché lucratif. A l’offertoire, après le pain et le vin, le prêtre présente une corbeille de fleurs et un drapeau libanais. Ce geste aurait heurté ma sensibilité laïque ailleurs. Mais dans ce Liban au bord de la guerre civile, où l’Etat se cherche, la réaffirmation par les croyants de leur attachement à la nation me semble un geste symbolique pertinent. D’autant qu’il s’accompagne de prières pour la paix.
Nous allons déjeuner dans un restaurant immense et impersonnel. La moitié des convives invités sont présents, ceux de la Bekaa n’ont pu descendre car la route est bloquée. Assise face à un journaliste de la Voix du Liban - radio plutôt proche du gouvernement - j’en profite pour me faire préciser la composition de l’Armée dont l’attitude pendant les derniers événements fut pour le moins ambiguë. « Parmi les officiers tu as 40% de chrétiens. Les 60% de musulmans se répartissent à égalité entre chiites et sunnites. Parmi les soldats, on compte 40% de chiites. C’est pourquoi, l’armée s’est montrée neutre voire complaisante face au coup d’Etat du principal parti chiite », m’explique F. Pour détendre l’atmosphère on évoque aussi ce DJ qui sévit l’après midi sur Radio Liban et dont les propos décousus me font souvent penser qu’il a du s’enfiler quelques joints avant de prendre le micro.
Camille a reçu beaucoup médailles du christ et de la vierge. Je lui ai offert Le petit Nicolas de Goscinny. Je vois qu’il a délaissé la Bible illustrée et autres livres édifiants pour se plonger dans mon bouquin. Il se marre comme moi à son âge.
Dans toutes les fêtes de ce genre, on mange beaucoup et on boit trop. Peut-être plus encore aujourd’hui, dans ce présent précaire. Chacun yeute discrètement l’écran de télévision au coin du restaurant pour suivre l’actualité : combats dans le Nord à Tripoli, à Aley, dans le Chouf entre les partisans de Joumblatt et ceux de son rival Arslan associé à l’opposition… A Beyrouth on respire mais ailleurs on a peur.
Dans ce Beyrouth chrétien et francophone flotte un air de France des années 60. On s’appelle Charles, Rosette, Jocelyne, Thérèse. On fait reprendre son tailleur chez le « stoppeur ». Les communiants sont en aubes et les communiantes portent des couronnes de fleurs. Dans cette église moderne et claire, je me recueille, prenant soudain conscience qu’au cours de cette nuit terrible du 8 mai, pas un moment je n’ai pensé à Dieu. Il est si loin, ou plutôt, je suis encore si loin de lui…
Depuis quelques temps, l’Eglise libanaise a « confisqué » l’organisation des communions aux écoles afin qu’elles se fassent dans les paroisses. Les mauvaises langues diront qu’elle récupère ainsi un marché lucratif. A l’offertoire, après le pain et le vin, le prêtre présente une corbeille de fleurs et un drapeau libanais. Ce geste aurait heurté ma sensibilité laïque ailleurs. Mais dans ce Liban au bord de la guerre civile, où l’Etat se cherche, la réaffirmation par les croyants de leur attachement à la nation me semble un geste symbolique pertinent. D’autant qu’il s’accompagne de prières pour la paix.
Nous allons déjeuner dans un restaurant immense et impersonnel. La moitié des convives invités sont présents, ceux de la Bekaa n’ont pu descendre car la route est bloquée. Assise face à un journaliste de la Voix du Liban - radio plutôt proche du gouvernement - j’en profite pour me faire préciser la composition de l’Armée dont l’attitude pendant les derniers événements fut pour le moins ambiguë. « Parmi les officiers tu as 40% de chrétiens. Les 60% de musulmans se répartissent à égalité entre chiites et sunnites. Parmi les soldats, on compte 40% de chiites. C’est pourquoi, l’armée s’est montrée neutre voire complaisante face au coup d’Etat du principal parti chiite », m’explique F. Pour détendre l’atmosphère on évoque aussi ce DJ qui sévit l’après midi sur Radio Liban et dont les propos décousus me font souvent penser qu’il a du s’enfiler quelques joints avant de prendre le micro.
Camille a reçu beaucoup médailles du christ et de la vierge. Je lui ai offert Le petit Nicolas de Goscinny. Je vois qu’il a délaissé la Bible illustrée et autres livres édifiants pour se plonger dans mon bouquin. Il se marre comme moi à son âge.
Dans toutes les fêtes de ce genre, on mange beaucoup et on boit trop. Peut-être plus encore aujourd’hui, dans ce présent précaire. Chacun yeute discrètement l’écran de télévision au coin du restaurant pour suivre l’actualité : combats dans le Nord à Tripoli, à Aley, dans le Chouf entre les partisans de Joumblatt et ceux de son rival Arslan associé à l’opposition… A Beyrouth on respire mais ailleurs on a peur.
dimanche 11 mai 2008
samedi precaire
J’ai profité d’une accalmie vendredi pour filer chez Leïla. Un militaire me conseille de faire fissa. Je marche, je cours, je vole… Le gardien d’une banque qui me voit tous les matins demande si tout va bien. « Oui, oui… ». Les rues sont tenues par le Hezbollah. Les bennes à ordures débordent, des bris de verre jonchent le sol.
Le 10 mai, L’Orient-le-Jour titre sur Une victoire à la Pyrrhus du Hezbollah. Pro-gouvernemental, le journal n’admet pas la défaite de son camp. Le parti de Nasrallah a démontré sa force et sa supériorité militaire. L’armée est restée passive, voire, complice à Beyrouth Ouest. Cependant le Hezbollah n’a-t-il pas commis une erreur en s’attaquant aux organes de presse ?
Après un petit déjeuner gargantuesque, on se défoule au sport puis je vais visionner un DVD et boire du vin chez Iskandar. La tension actuelle fait remonter les souvenirs de la guerre civile. Sirène me raconte qu’elle et son mari ont dormi dans le corridor comme dans les années 80. Iskandar qui a des origines palestiniennes évoque son enlèvement par les Forces libanaises il y a vingt ans. Toute la journée, les informations maintiennent le suspense : on a tiré sur le cortège funéraire de militants pro-Hariri, le Premier ministre Siniora prétend qu’il ne cèdera pas aux demandes du Hezbollah avant de faire volte-face. Les revendications de l’opposition sont acceptées. Les miliciens se retirent du quartier et les blindés de l’armée prennent leur place.
Le soir, je vomis toutes mes tripes : excès d’alcool et de stress. Dimanche, j’irai à la Première communion de Camille.
Le 10 mai, L’Orient-le-Jour titre sur Une victoire à la Pyrrhus du Hezbollah. Pro-gouvernemental, le journal n’admet pas la défaite de son camp. Le parti de Nasrallah a démontré sa force et sa supériorité militaire. L’armée est restée passive, voire, complice à Beyrouth Ouest. Cependant le Hezbollah n’a-t-il pas commis une erreur en s’attaquant aux organes de presse ?
Après un petit déjeuner gargantuesque, on se défoule au sport puis je vais visionner un DVD et boire du vin chez Iskandar. La tension actuelle fait remonter les souvenirs de la guerre civile. Sirène me raconte qu’elle et son mari ont dormi dans le corridor comme dans les années 80. Iskandar qui a des origines palestiniennes évoque son enlèvement par les Forces libanaises il y a vingt ans. Toute la journée, les informations maintiennent le suspense : on a tiré sur le cortège funéraire de militants pro-Hariri, le Premier ministre Siniora prétend qu’il ne cèdera pas aux demandes du Hezbollah avant de faire volte-face. Les revendications de l’opposition sont acceptées. Les miliciens se retirent du quartier et les blindés de l’armée prennent leur place.
Le soir, je vomis toutes mes tripes : excès d’alcool et de stress. Dimanche, j’irai à la Première communion de Camille.
vendredi 9 mai 2008
cette nuit-la
Je traverse l’ancienne ligne de démarcation entre l’Est et l’Ouest de Beyrouth à 16h. Le taxi ne peut pas passer. Près de la rue Monnot, une odeur de caoutchouc brûlé, des poubelles renversées qui brûlent, des militaires qui patrouillent avec des gilets pare-balles. Je voulais justement éviter de me retrouver là, à cette heure là. Celle de l’intervention radiodiffusée de Nasrallah, le leader du Hezbollah. Tout le monde l’attend. Va-t-il mettre de l’huile sur le feu ou calmer ses troupes. Peut-il appeler à l’apaisement sans perdre la face ?
D’un côté, le gouvernement qui pousse le Hezbollah dans ses retranchements, l’accusant de contrôler les pistes de l’aéroport et d’installer un réseau de télécommunication illégal. De l’autre, ce « parti de Dieu » qui considère le limogeage de l’un des « siens », le chef de la sécurité de l’aéroport Wafic Choucair, comme une déclaration de guerre. Le Hezbollah exige l’annulation de cette mise à pied ainsi que le gel de l’enquête concernant le réseau de télécommunication. C'est le bras de fer, aggravé par l’envie d’en découdre qui couve depuis longtemps.
Une voiture finit par me prendre en stop et nous passons par la Corniche. Arrivée chez moi, j’entends les tirs d’armes automatiques. Leïla me dit de ne pas rester seule mais je n’ose plus sortir. Iskandar m’invite à boire avec ses amis poètes jusqu’au début de la guerre. Bérangère me donne des conseils de sécurité : ne pas me mettre devant les fenêtres, préparer un paquet avec quelques affaires, surtout ne pas bouger. Je sursaute lorsqu’un chat se glisse dans l’appartement. C’est toujours celui qui y est qui est le moins bien informé. Sur RFI passe une émission culturelle, Pierre Arditi pérore sur le théâtre. Moi, je voudrais savoir si c’est la guerre ou pas.
18h je craque. Les tirs sont tout près. Mais je sors et j’appelle mon amoureux d’une cabine téléphonique. Sa voix est lointaine… Je rentre. J’ai peur. Je pleure. Chaque balle me terrorise. Tout mon corps se cabre, je n’arrive pas à maîtriser ce sentiment de panique comme une souris prise au piège. La nuit sera longue.
A 3h heures, le bruit des roquettes se mêle à celui d’un orage. Si ça pouvait calmer les hommes d’armes. 5h je m’endors enfin. Le lendemain, j’essaie de comprendre la situation locale : devant chez moi, c’est l’armée, juste derrière, les miliciens du Hezbollah. Ils sont une dizaine, entre 20 et 30 ans. Des foulards verts, les armes à l’épaule, deux ou trois sont cagoulés. Ils ressemblent à des rambos orientaux. Le « chef » m’offre un café : « tu travailles à Future TV ? (la télévision proche du Courant du Futur qu’ils ont prise dans le nuit). Je me recrie : « Non, non ! ». Ils blaguent en critiquant Sarkozy, et vérifient que « j’aime bien » le Sayyed Nasrallah… Merci pour le café. Au pas de course, je pars en quête de pain et de cartes téléphoniques. Dans mon frigo il ne reste que du yaourt.
Le téléphone sonne sans cesse : les parents qui s’inquiètent, un ami journaliste en France, des potes libanais solidaires et surtout mon amoureux avec son côté bourru et tendre. Toute la nuit je me suis accrochée à ses textos, je les ai relus jusqu’à les connaître par cœur, à l’instar de talismans protecteurs, une main agrippée à mon téléphone portable, seul lien avec l’extérieur. Cet homme que je ne connaissais pas il y a un an est devenue la personne la plus importante de ma vie, je m’en rends compte cette nuit.
Jamais je n’ai attendu le matin avec autant d’impatience comme si le soleil allait dégager le conflit. Leïla a reçu un coup de téléphone de son ex. Le danger rapproche ceux qui s’aiment ou se sont aimés…
D’un côté, le gouvernement qui pousse le Hezbollah dans ses retranchements, l’accusant de contrôler les pistes de l’aéroport et d’installer un réseau de télécommunication illégal. De l’autre, ce « parti de Dieu » qui considère le limogeage de l’un des « siens », le chef de la sécurité de l’aéroport Wafic Choucair, comme une déclaration de guerre. Le Hezbollah exige l’annulation de cette mise à pied ainsi que le gel de l’enquête concernant le réseau de télécommunication. C'est le bras de fer, aggravé par l’envie d’en découdre qui couve depuis longtemps.
Une voiture finit par me prendre en stop et nous passons par la Corniche. Arrivée chez moi, j’entends les tirs d’armes automatiques. Leïla me dit de ne pas rester seule mais je n’ose plus sortir. Iskandar m’invite à boire avec ses amis poètes jusqu’au début de la guerre. Bérangère me donne des conseils de sécurité : ne pas me mettre devant les fenêtres, préparer un paquet avec quelques affaires, surtout ne pas bouger. Je sursaute lorsqu’un chat se glisse dans l’appartement. C’est toujours celui qui y est qui est le moins bien informé. Sur RFI passe une émission culturelle, Pierre Arditi pérore sur le théâtre. Moi, je voudrais savoir si c’est la guerre ou pas.
18h je craque. Les tirs sont tout près. Mais je sors et j’appelle mon amoureux d’une cabine téléphonique. Sa voix est lointaine… Je rentre. J’ai peur. Je pleure. Chaque balle me terrorise. Tout mon corps se cabre, je n’arrive pas à maîtriser ce sentiment de panique comme une souris prise au piège. La nuit sera longue.
A 3h heures, le bruit des roquettes se mêle à celui d’un orage. Si ça pouvait calmer les hommes d’armes. 5h je m’endors enfin. Le lendemain, j’essaie de comprendre la situation locale : devant chez moi, c’est l’armée, juste derrière, les miliciens du Hezbollah. Ils sont une dizaine, entre 20 et 30 ans. Des foulards verts, les armes à l’épaule, deux ou trois sont cagoulés. Ils ressemblent à des rambos orientaux. Le « chef » m’offre un café : « tu travailles à Future TV ? (la télévision proche du Courant du Futur qu’ils ont prise dans le nuit). Je me recrie : « Non, non ! ». Ils blaguent en critiquant Sarkozy, et vérifient que « j’aime bien » le Sayyed Nasrallah… Merci pour le café. Au pas de course, je pars en quête de pain et de cartes téléphoniques. Dans mon frigo il ne reste que du yaourt.
Le téléphone sonne sans cesse : les parents qui s’inquiètent, un ami journaliste en France, des potes libanais solidaires et surtout mon amoureux avec son côté bourru et tendre. Toute la nuit je me suis accrochée à ses textos, je les ai relus jusqu’à les connaître par cœur, à l’instar de talismans protecteurs, une main agrippée à mon téléphone portable, seul lien avec l’extérieur. Cet homme que je ne connaissais pas il y a un an est devenue la personne la plus importante de ma vie, je m’en rends compte cette nuit.
Jamais je n’ai attendu le matin avec autant d’impatience comme si le soleil allait dégager le conflit. Leïla a reçu un coup de téléphone de son ex. Le danger rapproche ceux qui s’aiment ou se sont aimés…
mercredi 7 mai 2008
Ville morte
Beyrouth est déserte. Une ville morte comme dans ces westerns américains où les cow-boys, armes au poing attendent l’attaque imminente des bandits. Drôle de contraste avec l’atmosphère primesautière qui régnait ces derniers jours, la floraison des gardénias et les janacondas qui forment des charmilles bleutées au dessus de la chaussée. C’est la grève générale. Des manifestations contre l’envolée des prix étaient prévues à l’appel de la Confédération générale des travailleurs du Liban (principale organisation syndicale du pays). Dès 7h30, elles ont été suspendues suite à l’explosion d’une grenade à Korniche el Mazraa. L’armée est déployée, la route vers l'aéroport bloquée, on entend des coups de feu près de l’Université libanaise, des affrontements seraient survenus entre Amal et le Courant du Futur…
Au coin de ma rue, deux gros chars bleus ont pris place et les Forces de sécurités intérieurs viennent chercher des sandwiches chez mes voisins épiciers, l’un des rares magasins restés ouverts aujourd’hui.
Au coin de ma rue, deux gros chars bleus ont pris place et les Forces de sécurités intérieurs viennent chercher des sandwiches chez mes voisins épiciers, l’un des rares magasins restés ouverts aujourd’hui.
lundi 5 mai 2008
Dimanche soir à Beyrouth
Le ciel est laiteux, légèrement rosé. Sur la corniche bondée, le MP3 vissé sur dans les oreilles, les joggeurs trottinent, profitant de la fraîcheur du soir. Certains superposent pulls et anorak pour suer davantage et perdre du poids. Ils font penser à des bibendums.
Quelques touristes s’extasient devant les flots méditerranéens tandis que les mateurs, adossés à la rambarde, fixent leurs regards sur d’autres ondulations. Elles font les pépettes à cette heure-là les Libanaise, hauts talons, jeans hyper serrés, lunettes de soleil gucci.
On grignote du maïs bouilli, on suçote une glace, on fume un narghilé. Le marchand de café ambulant fait tinter l’une contre l’autres ses petites tasses en porcelaine. C’est tentant.
Les "nurses" sri-lankaises ou éthiopiennes courent après les gamins qui zigzaguent entre les flaneurs.
En contrebas, de vieux beaux se font bronzer et quatre papis jouent aux cartes.
Un jeune homme et sa belle se racontent leurs rêves assis sur un rocher. D’autres amoureux plus âgés devisent en buvant un café. A l’abri des regards, planqués dans les voitures, les couples illégitimes se bécotent. C’est dimanche soir à Beyrouth.
Quelques touristes s’extasient devant les flots méditerranéens tandis que les mateurs, adossés à la rambarde, fixent leurs regards sur d’autres ondulations. Elles font les pépettes à cette heure-là les Libanaise, hauts talons, jeans hyper serrés, lunettes de soleil gucci.
On grignote du maïs bouilli, on suçote une glace, on fume un narghilé. Le marchand de café ambulant fait tinter l’une contre l’autres ses petites tasses en porcelaine. C’est tentant.
Les "nurses" sri-lankaises ou éthiopiennes courent après les gamins qui zigzaguent entre les flaneurs.
En contrebas, de vieux beaux se font bronzer et quatre papis jouent aux cartes.
Un jeune homme et sa belle se racontent leurs rêves assis sur un rocher. D’autres amoureux plus âgés devisent en buvant un café. A l’abri des regards, planqués dans les voitures, les couples illégitimes se bécotent. C’est dimanche soir à Beyrouth.
dimanche 4 mai 2008
printemps culturel
Depuis quelques semaines, malgré l’assassinat à Zahlé de deux membres du parti Kataëb, malgré la polémique autour d’un réseau téléphonique illégal entretenu par le Hezbollah de Tyr au Mont-Hermel, malgré l’approche d’une nouvelle session du Parlement, le 13 mai, pour élire le président de la République, mes amis ne me parle plus de politique ! Place à la culture. Or ce printemps est riche en événements artistiques. Les Libanais sortent à nouveau d’autant que les prix des places pour ces spectacles sont tout à fait raisonnables : entre 5 et 10 euros.
Iskandar Habache, le critique littéraire du quotidien Al Safir a qualifié ce concert d’historique dans son éditorial. Le chanteur azéri Alim Qasimov se produisait avec sa fille, un joueur de tar (luth) et un autre de Kamanche (vièle). Le répertoire de Qasimov, d’origine paysanne, s’inspire de la tradition populaire et rurale. Il perpétue et renouvelle le mugham, cette poésie musicale qui mêle l’épique au spirituel en Asie Centrale et au Moyen Orient.
Assis sur de gros coussins colorés, les artistes s’accordent. Une courte introduction musicale, puis la main de Qasimov caresse son Daf (tambour) et la voix s’élève. Rauque, en spirale, elle semble sculpter le silence, occuper l’espace de la scène puis embrasser la salle toute entière. Un duo avec sa fille Fargana évoque les amours de Majnoun et Leila. Le chant est pathétique, désespéré, intense. Et pourtant, ma pensée s’évade. Je ne sais ce qui se passe dans la tête des autres spectateurs mais, en concert, chaque fois, mon esprit s’envole sur les volutes des notes vers des souvenirs, des ailleurs… Je suis loin, si loin... Et puis soudain, la lumière blafarde, le tonnerre des applaudissement, on se sens projeté, comme une boule de flipper, hors de cette magie musicale et mystique.
Le Festival de danse contemporaine s’achève. Dans l’ensemble, je reste frappé par la violence des chorégraphies présentées. Gestes saccadés, musiques souvent hachées, corps qui se heurtent. Peu de sensualité, d’harmonie ou de douceur. Peut-être les spectacles sont-ils le reflet de notre monde actuel ?
Au Théâtre Medina, le travail de la compagnie allemande Folkwang Tanzstudio, codirigée par Pina Bausch et Henrietta Horn, m’a éblouit. En particulier, Auftaucher qui met en scène cinq danseurs et cinq danseuses pour de multiples variations autour du couple, Attraction, répulsion, jalousie, impulsion, joie…
Au Théâtre Tournesol, une Libanaise réinvente le flamenco. Sur une bande sonore répercutant un bombardement et des tirs d’armes automatiques, elle danse seule sur la scène, éclairée par une lumière tamisée. Son corps est plein de colère retenue. Ses bras parfois se tendent brutalement comme si elle plantait une épée dans le dos d’un ennemi invisible. Elle piétine le sol avec rage. Elle danse la guerre...
Au Théâtre Monot, la musique pulse, sourde. Les danseurs de hip-hop évoluent à un centimètre au-dessus du sol. Parfois, ils dansent sur les silences et c’est encore plus beau. Le spectateur assis devant moi gêne ma vision. Il tourne la tête à droite, s’incline ensuite à gauche, puis à droite, à gauche. Le type devant lui gigote de façon asymétrique, à gauche, à droite, à gauche, à droite, comme les branches d’un essuie-glace. Moi-même, je me penche alternativement et inversement, à droite, à gauche. Et c’est toute la colonne des sièges situés dans le rang F du théâtre Monot qui oscillent en rythme, à droite, à gauche, droite, gauche.
Iskandar Habache, le critique littéraire du quotidien Al Safir a qualifié ce concert d’historique dans son éditorial. Le chanteur azéri Alim Qasimov se produisait avec sa fille, un joueur de tar (luth) et un autre de Kamanche (vièle). Le répertoire de Qasimov, d’origine paysanne, s’inspire de la tradition populaire et rurale. Il perpétue et renouvelle le mugham, cette poésie musicale qui mêle l’épique au spirituel en Asie Centrale et au Moyen Orient.
Assis sur de gros coussins colorés, les artistes s’accordent. Une courte introduction musicale, puis la main de Qasimov caresse son Daf (tambour) et la voix s’élève. Rauque, en spirale, elle semble sculpter le silence, occuper l’espace de la scène puis embrasser la salle toute entière. Un duo avec sa fille Fargana évoque les amours de Majnoun et Leila. Le chant est pathétique, désespéré, intense. Et pourtant, ma pensée s’évade. Je ne sais ce qui se passe dans la tête des autres spectateurs mais, en concert, chaque fois, mon esprit s’envole sur les volutes des notes vers des souvenirs, des ailleurs… Je suis loin, si loin... Et puis soudain, la lumière blafarde, le tonnerre des applaudissement, on se sens projeté, comme une boule de flipper, hors de cette magie musicale et mystique.
Le Festival de danse contemporaine s’achève. Dans l’ensemble, je reste frappé par la violence des chorégraphies présentées. Gestes saccadés, musiques souvent hachées, corps qui se heurtent. Peu de sensualité, d’harmonie ou de douceur. Peut-être les spectacles sont-ils le reflet de notre monde actuel ?
Au Théâtre Medina, le travail de la compagnie allemande Folkwang Tanzstudio, codirigée par Pina Bausch et Henrietta Horn, m’a éblouit. En particulier, Auftaucher qui met en scène cinq danseurs et cinq danseuses pour de multiples variations autour du couple, Attraction, répulsion, jalousie, impulsion, joie…
Au Théâtre Tournesol, une Libanaise réinvente le flamenco. Sur une bande sonore répercutant un bombardement et des tirs d’armes automatiques, elle danse seule sur la scène, éclairée par une lumière tamisée. Son corps est plein de colère retenue. Ses bras parfois se tendent brutalement comme si elle plantait une épée dans le dos d’un ennemi invisible. Elle piétine le sol avec rage. Elle danse la guerre...
Au Théâtre Monot, la musique pulse, sourde. Les danseurs de hip-hop évoluent à un centimètre au-dessus du sol. Parfois, ils dansent sur les silences et c’est encore plus beau. Le spectateur assis devant moi gêne ma vision. Il tourne la tête à droite, s’incline ensuite à gauche, puis à droite, à gauche. Le type devant lui gigote de façon asymétrique, à gauche, à droite, à gauche, à droite, comme les branches d’un essuie-glace. Moi-même, je me penche alternativement et inversement, à droite, à gauche. Et c’est toute la colonne des sièges situés dans le rang F du théâtre Monot qui oscillent en rythme, à droite, à gauche, droite, gauche.
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