mardi 29 juillet 2008

Epilogue

C’est le moment des ruptures. Je quitte le Liban et mon amoureux en France s’éloigne. Impression douloureuse que tout me file entre les mains, comme un courant d’eau impossible à retenir.

P. m’a confié qu’il visiterait un jour son « rival », ce pays pour lequel je suis partie loin de lui. Comprendra-t-il ce que j’y ai trouvé, pourquoi je suis tombé en amour de ce petit bout de terre ballotté entre nostalgie d’un passé révolu et peur d’un destin tragique. Ai-je compris moi-même la mystérieuse alchimie du bonheur qui m’a habité au Liban ? On s’invente mille raisons pour justifier un coup de foudre : le sourire quotidien de l’épicier du coin, le mélange étrange de précarité et de permanence de la société libanaise, le goût insensé de la vie qui renaît après chaque guerre, la lumière sur la corniche, les multiples transgressions des règles, les regards appuyés des hommes sur les femmes et la douce amitié de ces femmes. Le cadre de l’année sabbatique sans contraintes autres que celle que je m’étais fixées m’a également permis de découvrir à mon rythme un autre monde, d’en saisir la langue, les codes, les usages et d’apprivoiser ma liberté. Propulsée sans passé, sans futur précis dans ce pays, je me suis réinventée. Pourtant une question reste posée : aurais-je aimé ce pays sans la présence là-bas en France d’un amoureux qui m’attendait ?

Pour le meilleur et pour le pire, j’ai conjugué ces deux passions pendant onze mois, un pays et un homme. « Tu veux tout », m’a-t-il dit. Peut-être. J’aime les facettes multiples de la vie.
Aujourd’hui, devant le mauvais café servi à l’aéroport international de Beyrouth, je doute et me sens en apesanteur. Vais-je me fracasser les ailes sur le mur de mes désillusions ou au contraire m’envoler vers un destin nouveau ?

lundi 28 juillet 2008

Absence

Au creux de ton absence
J’invente ta présence
Je t’emmène vers le ciel
Sur mes ailes d’hirondelle

On oubliera les guerres
Les nôtres et puis les leurs.
Hier encore j’avais si peur
Regarde la vague, mon cœur
C’est la caresse du bonheur

L’hiver est tristesse
L'été est promesse

jeudi 3 juillet 2008

La maison du bonheur ?

Il a les yeux couleurs miel, les cheveux mi-longs et légèrement ondulés. Une vraie gueule d’ange. Un ange mélancolique. Chacune de ses paroles est voilée d’une lassitude douloureuse. D’ailleurs, il parle peu. Architecte Matthieu a construit avec ses parents ce qui devrait être la maison du bonheur. Cachée dans le village de Ghazir, elle est le résultat d’années d’effort, d’imagination, de compétence. Le feuillage des cyprès fait oublier les murs lépreux du voisin, les bassins emplis de nénuphars sont habités par des grenouilles espiègles. Le sol est doux et frais aux pieds nus. Dans les souks de Damas et d’Alep, la famille a déniché de vieux coffres en bois, des lampes en cuivre ouvragé, des kilims turcs. La salle de bain ressemble à un hammam avec ses larges vasques de pierre et une lumière opalescente. Les chambres, couleur framboise écrasée, ont été adossées à des rochers dont les infractuosités affleurent près des lits. La maison respire la poésie à l’opposé de ces villas coûteuses et cossues qui abîment trop de villages libanais. Après la visite, on boit une zouhrat.
Matthieu bouge peu, boude Beyrouth, transporte sa mélancolie de la demeure familiale de Jounieh à cette villa irréelle, parfois il s’évade sur une plage privée à Tarbaja. Matthieu est l’homme qui évite (et lévite aussi un peu d’ailleurs) : le béton agressif, la bêtise de ses semblables, les excentricités et fautes de goût de ses clients, tout ce qui heurte sa sensibilité artistique exacerbée. Sa vie se recroqueville sur ces quelques territoires, bien à l’abri, constamment en quête d’un cocon protecteur. Sur le mode de la colère, mon amie journaliste Katia exprime cette même révolte contre la laideur du monde actuel. Je l’écoute renchérir aux propos de Matthieu. Tous les deux voyagent au Yémen, en Inde, en Asie du Sud Est à la recherche d’îlots vierges du bruit du monde. Je les écoute parler cette langue étrangère du regret, moi qui suis béate devant le spectacle d’une grue dans un paysage industrielle ou face à un enchevêtrement d’autoroutes.
J’ai l’impression que toute la beauté du monde ne suffirait pas à étancher la soif inextinguible de mes amis. Il s’agit donc de bien autre chose. Un paysage intérieur abîmé, en souffrance. Ils ont morflé ces deux là. La guerre, le décès d’un frère, la trahison d’un amant… Pour bâtir la vraie maison du bonheur, encore faut-il être soi-même heureux.