mercredi 27 février 2008

Le printemps pointe son nez

Une lumière plus jaune. Un soleil caressant. Une brise légère et douce. Le matin, un oiseau pépie sous ma fenêtre. Le soir, les chats miaulent à fendre l’âme. L’épicier arbore un sourire nouveau. Lassée par les oranges, les mandarines et les pommes rouges, je guette l’arrivée des fraises sur l’étal du marchand des quatre-saisons. Je veux croire au printemps et délaisse le manteau. Sur la terrasse du Café Costa, j’ai remarqué un petit carré ensoleillé à partir de 10h du matin où il fait bon lire la phraséologie pompeuse du quotidien francophone l’Orient-le-Jour. On précipite la saison en échafaudant mille projets de randonnées : le sommet culminant du pays, Qornet el saoda (3083 m) ou alors plus modestement le Mont-Hermon (2814). Les Libanais ne boudent plus la corniche. Ils s’y retrouvent en bandes, l’unité de base au Liban où l’on ne peut envisager se rendre seul ni au cinéma, ni au théâtre, ni au restaurant. On sort en duo ou à quinze !
L’arrivée de la nouvelle saison chasse les sombres prédictions de guerre, les relègue vers l’hiver. Je veux y croire. Mais le chauffeur de taxi n’est pas d’accord.
- Tu verras, habbibi, il va y avoir la guerre en mars.
- Ah, tu crois. Et pourquoi dans un mois ?
- Parce que maintenant, il fait encore trop froid !
Beyrouth est un microcosme qui tangue au gré de vagues rumeurs. Elles enflent et se propagent pas seulement dans l’habitacle des taxis mais aussi dans les milieux « avertis », comme au sein de cette très sérieuse ONG libanaises où se dit volontiers qu’Israël va lancer la bombe atomique sur les bases du Hezbollah…. « Des bêtises, rétorque mon voisin Ali-le-sage. Le printemps, c’est la vie, ça se respecte ».
Dans un pays au bord du gouffre, où j’éprouve parfois un certain malaise à me sentir si heureuse, si amoureuse, ce printemps qui s’offre à tous avec sa connotation de renouveau (même illusoire), apaise mon sentiment de culpabilité, la revêt d’un fragile vernis de légitimité.

dimanche 24 février 2008

Le keffieh

Mon père m'a offert un keffieh noir et blanc, déniché dans un souk en Syrie. Ce foulard, devenu avec Yasser Arafat l'emblème de la cause palestinienne, me vaut souvent des sourires ou des clins d'oeil complices à Beyrouth. Il faut dire que j'habite Hamra, un quartier mixte et plutôt ouvert. Ce week-end, je suis invitée à Saïda, dans le sud, fief sunnite du défunt Premier ministre Rafic Hariri. Mon hôtesse me demande gentiment de troquer mon keffieh contre un foulard en mousseline bleu. Dans la société libanaise hyperpolarisée, vêtements et couleurs traduisent, qu'on le veuille ou non, une appartenance partisane. Vert et jaune c'est le Hezbollah, orange le Courant Patriotique Libre d'Aoun, bleu le Courant du Futur de Hariri...
"Même mon porte-clé orange, je préfère le cacher", explique cette femme chiite qui voue aux gémonies tous ces partis responsables selon elle de l'impasse actuelle.

vendredi 22 février 2008

Rachid Daïf

Chaque jour, le citoyen libanais vit sans électricité pendant trois heures. Ce peut-être au réveil, le chauffage est éteint et la bouilloire silencieuse. Ou à midi, on hésite à prendre l’ascenseur même pour monter au 10e étage. Ou encore le soir et il faut alors prévoir un arsenal de bougies. J'ai appris à parer à tout moment au noir et/ou au froid. Sans trop me forcer, il faut l'avouer tant les bistrots sont pour moi un second domicile que ce soit à Beyrouth ou à Paris, je travaille souvent dans les cafés qui, grâce à leur groupe électrogène, sont toujours éclairés et bien chauffés. Mais hier, Leïla a trouvé la parade : « En fait, ils coupent un jour de 18h à 15h, le lendemain de 15h à 12h et le surlendemain de 12h à 9h ». Al Hamdoulillah, je vais enfin pouvoir reprendre l’ascenseur mais je continuerai à bosser dans les cafés propices aux rencontres ! Ce matin, sirotant mon petit noir chez Costa, j'ai ainsi fait la connaissance du romancier Rachid Daïf, auteur d'un magnifique roman sur l'apreté de la société montagnarde dans les années soixante (Cher monsieur Kawabata, Actes Sud). L'homme correspond à l'idée que je me faisait de lui, visage fin, caustique, l'oeil vif. On devise sur la confusion que font certains journalistes entre le narrateur et l'auteur. "L'un d'eux a écrit que j'entretenais une relation avec ma concierge en m'associant au héros de l'un de mes romans qui parlait à la première personne" . On rit, il prend congé et je me souviens d'un passage de son livre à la fois cruel et juste : "Chacun déciderait-il de dire ce qu’il a sur le cœur, il y aurait sur terre une odeur insupportable."

mardi 19 février 2008

L'atelier d'écriture

L’atmosphère est studieuse. Autour de la table, douze adultes planchent. L’un suçote un crayon, les yeux dans le vague. L’autre est scotchée à sa copie, le feu aux joues. On écrit sur une feuille quadrillée, sur un cahier d’écolier ou on pianote à l’ordinateur. Personne ne touche à la pyramide de croissants au fromage, ni aux sablés aux dattes, censées nous aider à trouver l’inspiration. Ici, ça bosse.
C’est mon second atelier d’écriture au Liban. Nous sommes réunis pour le week-end dans immense appartement à Hazmiyé dans la banlieue de Beyrouth. Les participants sont libanais (sauf moi), francophones et la plupart profs. Mais on compte aussi un neurochirurgien qui parle du suicide, rit beaucoup, écoute des cantates de Bach lorsqu’il écrit et danse pendant les pause sur Billy Holliday. Il y a aussi une employée d’assurance discrète et transparente. Une psy qui n’en finit pas de nous raconter des histoires de meurtres où gicle l’hémoglobine tirées de scènes traumatisantes qu’elle a vécues en Côte-d’Ivoire. Et enfin, Brenda qui boude. Drôle de fille. La cinquantaine rebelle, masculine, elle est sans apprêt au physique comme au moral. Lorsqu’elle accepte de baisser la garde, Brenda livre des pépites littéraires, pleines de saveur. Mais la plupart du temps, elle refuse soit d’écrire, soit de lire. Et n’hésite pas vous envoyer bouler, non par méchanceté mais par lucidité aiguë et goût de la vérité ! Interrogée par le groupe sur les raisons de ma présence au Liban et alors que je dissertais sur mon attachement à ce pays en dépit des rumeurs de guerre, elle m’a lancée : « c’est facile, quand on est pas impliqué ». Bingo, c’est juste Brenda.

Pour commencer l’atelier, l’animatrice Georgina, lit de brefs extraits d'auteurs célèbres ou méconnus, tel un chef d’orchestre faisant tinter le diapason pour donner la note aux musiciens. Puis, elle propose d’écrire une suite de « fragments » sur le thème du week-end : la couleur. J’ai choisi le vert sans l’attacher à la symbolique trop immédiate de la renaissance, de la vie, de l’espoir etc. Vous savez le houx, le cyprès, le sapin de Noël ! Non, pour moi le vert rime avec colère. Sa gamme chromatique exprime bien la palette variée des courroux. Il est des colères enfantines, vert anis, d’autres graves, vert bouteille ; certaines pleine de peps, comme une menthe à l’eau, d’autres collantes, gluantes comme des algues… Le vert me stimule…la colère aussi d’ailleurs !
Ecrivains du dimanche, on soupire tous au début comme à l’école. Puis une densité s’installe dans le salon. A la fin du temps imparti, chacun se récrie pour grappiller quelques minutes et trouver une chute à son historiette. On se soumet alors à la séquence de lecture avec commentaires « bienveillants » (c’est la règle même si les participants peuvent émettre une suggestion). En lisant à haute voix, on se dévoile, même s’il s’agit d’une fiction. Des voix tremblent. C’est l’émotion. Chaque texte décline une couleur, le gris, le jaune, le rose, le noir quand soudain, sur le parquet du salon, entre le tapis perse et les canapés en cuir, se dessine un élégant arc-en-ciel. Les cieux sont poètes.
Mais la sonnerie d’un portable rompt brutalement la magie de l’instant. Des tirs d’armes automatiques ont été entendus, il y aurait des échauffourées vers Mazraa et Ras el-Nabeh. On descend vite de l’Olympe. Georges fait un détour pour éviter le quartier où s’est déployée l’armée.

Six pieds sous terre

Dimanche, les heurts entre les partisans du Courant du futur de Saad Hariri et des palestiniens près du camp de Sabra ont fait un mort. Un Palestinien qui a succombé à ses blessures.

En Islam, le mort doit être enterré moins de 24h après son décès. Il est enveloppé dans un linceul blanc (souvent le drap vient de La Mecque), puis déposé dans un simple trou. Sur la pierre tombale, juste son nom, parfois ses dates de naissance et de mort. L’image et l’épitaphe sont proscrites. Sauf, m’explique Leïla ,pour les martyrs. Dans son village à Zrariye, il y a deux cimetières. L’un, sobre, ordinaire envahit par la verdure. L’autre réservé à la vingtaine de jeunes décédés pendant l’invasion israélienne en 1985. Ce sont les martyrs. Eux ont le droit à leur photo et à des petites « chapelles » en verre qui abritent leurs objets familiers. On y trouve un masbaha (chapelet), un coran, un stylo, une alliance…

vendredi 15 février 2008

secousse

La commémoration du 14 février aurait rassemblé un million de participants. Annoncée comme la manifestation de tous les dangers, elle prit l’allure d’une joyeuse kermesse. Le climat était bon enfant et pluvieux. Les drapeaux libanais rouge et vert côtoyaient une forêt de parapluies noir. Je vis un soldat hisser un môme sur les épaules de son père, une jeune fille maquillée aux couleurs des Forces libanaises et des organisateurs juchés sur un container balancer des bouteilles d’eaux à la foule.
Les discours se sont enchaînés célébrant l’unité, la nécessité d’élire un président, de mettre en place le tribunal international et fustigeant l’Iran comme la Syrie. Des barbelés séparaient prudemment la foule réunie à l’instigation de la majorité des tentes occupées par l’opposition. Toute étincelle entre les deux camps étant susceptible de transformer la kermesse en cauchemar. Et puis chacun est rentré chez soi. Trempé.
La secousse politique pronostiquée n’eut pas lieu. En revanche, une secousse tellurique a ébranlé Beyrouth ce matin et accessoirement mon studio. Je révisais mes conjugaisons d’arabe quand la table a commencé à vibrer. Un livre est tombé. Je suis restée bêtement à compter les secondes, paralysée. Un mail de mon prof m’annonçant que son appartement situé au 11e étage tanguait comme dans une fête foraine m'a sorti de ma torpeur. J'ai descendu quatre à quatre les escaliers pour aller manger une salade au café Prague. Sur l’ardoise, à la place du plat du jour, une citation de Brecht était inscrite à la craie: War is like love, it always finds a way (La guerre comme l’amour trouve toujours un chemin). Il y a des jours comme ça où rien ne tourne rond sur la terre. Alors il faut regarder la mer.
Sur la corniche, deux amoureux se bécotaient. Leurs baisers devaient avoir un goût de sel. Un groupe de femmes bien en chair et en survêtements tentaient de perdre leurs kilos superflus en marchant le plus rapidement possible. A chaque pause, elles grignotaient des graines de tournesols grillées et épluchaient des pistaches. Des pêcheurs m’ont souri. Accoudée devant les flots, j’ai laissé mon esprit divaguer sur la crête des rouleaux et l’écume blanche a englouti mes idées noires.

jeudi 14 février 2008

Monica

J’ai rencontré Monica Borgman dans la jolie maison blanche qui abrite son ONG UMAM consacrée à la mémoire de la guerre civile libanaise. Des cheveux blonds cendrés toujours en foufelles, un regard myosotis, une démarche juvénile et une légère couperose qui pourrait faire penser à une manifestation de timidité. Ce serait mal connaître cette ex-journaliste allemande installée depuis une dizaine d’années à Beyrouth. Monica c’est « même pas peur » ! Lorsqu’elle travaillait en Algérie pendant les années noires et que l’islamisme tentait d’imposer un sobre uniforme aux femmes, la journaliste continuait à se maquiller, à porter des jeans et à refuser la présence encombrante et voyante des bodyguards ! Plus récemment, au Liban, lorsque les avions israéliens lancèrent des flyers sur son quartier pendant la guerre de l’été 2006 enjoignant la population de quitter la région, elle a pensé : « allez vous faire foutre, on ne me jette pas des petits papiers sur la tête pour me dire de quitter ma maison ». Et elle est restée.

Monica a rencontré le monde arabe grâce à… Israël. C’est en effet à travers les programmes de réconciliations entre l’Etat hébreux et l’Allemagne à la fin des années 70 qu’elle se rend pour la première fois dans le Moyen Orient. Elle découvre bientôt le fait palestinien et se promet d’apprendre l’hébreu et l’arabe quand elle sera grande. Elle apprendra le turc et la philologie arabe. En 1986, la jeune fille survole le Liban. « Je n’oublierai jamais ma première image de Beyrouth à travers le hublot de l’avion qui volait à basse altitude : une ville détruite par la violence. J’avais 22 ans et je savais que je n’étais pas là par hasard ». Allemande issue d’une génération marquée par le passé nazi de son pays, Monica s’avoue fascinée par la question de la genèse de la violence. « Comment et pourquoi verse-t-on dans la violence collective ou individuelle ». Une fascination qui imprègnera son travail de journaliste puis de militante.

Au début des années 1990, la jeune femme réalise au culot une émission d’une heure sur le quotidien au Liban. « Je me suis convaincue que cela suffisait pour me prétendre journaliste. » Elle loue un bureau au Caire et se lance en free lance. « Je faisais des trucs dans le style de votre radio France-Culture entre la Tunisie, le Liban et surtout l’Algérie ». A l'époque, entre les islamistes et l’armée algérienne, on ne sait plus très bien à qui attribuer les attentats qui ensanglantent le pays. La journaliste fréquente de près les intellectuels qui n’ont pas fui en exil. « Je voulais comprendre pourquoi certains ne cédaient pas à cette peur, à ces menaces, à cette violence ». Parmi ceux qui restent, elle croise Saïd Mekbel, directeur et caustique chroniqueur du quotidien francophone Le Matin. L’homme se sait menacé. Au cours d’une série d’entretiens, il livre à Monica une réflexion dense et lucide sur son quotidien d’homme traqué, prophétisant sa propre liquidation pour avoir refusé toute récupération. Mekbel décortique les métamorphoses de sa peur, analyse la planification des attentats, explique ses tactiques pour échapper à son futur assassin : changer constamment de vêtements, de coiffure, se munir en permanence d’une lampe de poche pour fuir le noir propice au crime et de monnaie pour corrompre un gardien en cas d’enlèvement. Lorsqu’il est assassiné le 3 décembre 1994, Monica Borgman prend conscience que les entretiens enregistrés quelques mois plus tôt sonnent comme un testament, un brûlot dans lequel la victime a dénoncé par leur nom les auteurs de son assassinat, notamment le général Toufik. « Jusqu’à présent je n’avais pas publié mes interviews avec Mekbel pour éviter d’utiliser sa mémoire à des fins de scoop, explique la journaliste, mais le site Internet du Mouvement algérien des officiers libres a révélé que j’en disposais et je ne voulais pas être récupéré par qui que ce soit. » Publié tout récemment en France (1), ce livre d’entretiens a non seulement une pertinence pour l’Algérie mais aussi pour le Liban où Monica s’est établie et où existent également des listes noires et des attentats politiques impunis.

Son enquête au long cours sur la violence s’est poursuivie à Beyrouth lorsqu’elle réalise en 2004 le film coup de poing Massaker. Un documentaire de 96 minutes dans lequel six ex-miliciens des Forces libanaises racontent leur participation au massacre de civils palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila. Pour le tourner dans le plus grand secret et semer les services, elle et son mari n’arrêtent pas de sortir, « tous les soirs, on passait de bars en boites pour prouver que l’on se contentait de profiter de la vie : ce fut le mois le plus fou de mon existence ». Le documentaire obtint la permission d’être projeté une seule fois officiellement mais passe à Beyrouth sous le manteau. « Avec ce film j’ai l’impression d’être allée le plus loin possible sur la violence collective sans toutefois pouvoir répondre à la question de sa genèse. Travailler sur la violence des autres ne t’amène pas à une réponse sur la tienne », confie-t-elle alors qu’elle écrit aujourd’hui un scénario de fiction sur les relations entre violence et sexualité. Depuis quelques années, Monica a en effet lâché le micro et le journalisme. « J’ai décidé de privilégier le langage du corps grâce à la caméra et de devenir actrice plutôt qu’observatrice. » Ayant constaté l’absence d’archives nationales au Liban, elle a fondé avec son mari – un éditeur libanais issu d’une vieille famille chiite - une ONG qui oeuvre sur la mémoire (UMAM) et lancera au printemps prochain une série d’ateliers de travail sur les disparus, la vérité, la justice… Autant de sujets qui fâchent et risquent parfois de tuer au pays du Cèdre. Mais Monica a retenu une leçon essentielle de ses entretiens avec l’intellectuel assassiné Saïd Mekbel : « Il ne faut jamais céder à la peur. »

L'ONG UMAM est située tout près du QG du Hezbollah mais les relations avec le parti sont correctes. Le cheikh et certains responsables du Hezb venant même aux vernissages bien arrosés qu’organisent régulièrement UMAM. « Je suis profondément laïque et Lokman mon mari aussi, explique Monica. A 18 ans j’ai fait une démarche pour me désaffilier de l’église catholique allemande et signé un papier officiel au ministère des Finances ! ». Comme au Liban, le mariage non religieux n’existe pas, le couple s’est marié au… Danemark Et comble des paradoxes pour une laïque convaincue, Monica ayant demandé la nationalité libanaise, si elle vote, elle sera inscrite sur les listes chiites conformément au système électoral de ce pays. « Aujourd’hui, le Liban est encore très loin de la laïcité. Je pense que le combat prioritaire n’est pas là. L’urgence c’est de ne pas laisser un parti comme le Hezbollah avoir le monopole sur la communauté chiite, surtout dans le contexte régional. C’est complètement non démocratique. Il faut créer de l’altérité au sein de chaque communauté» Beaucoup le pense, peu ose l’exprimer aussi clairement. Quand je vous disais que Monica c’est même pas peur !

1/Saïd Mekbel, une mort à la lettre, Téraèdre, janvier 2008

mercredi 13 février 2008

Le chat du centre ville

Le crépuscule a envahi les arcades du centre-ville écrasé par la mosquée sunnite Mohammed el Amin. Avec ses 65 mètres de haut et ses quatre dômes, elle brille de tous ses feux (c’est bien le moins vu qu’elle a coûté 20 millions de dollars). Plus que jamais ce quartier ripoliné « à l’ancienne » ressemble à un décor de théâtre abandonné. Trop propre, trop froid, trop vide. Il reste le symbole de l’affairisme des années de reconstruction. A l’époque, beaucoup de familles expulsées par l’opérateur unique Solidere ne furent pas relogées ou très mal. Demain pourtant, le centre-ville sera submergé par la foule puisqu’il servira de scène à la grande manifestation commémorant l’assassinat de Rafic Hariri. A chaque entrée, on se heurte à des chicanes, des barricades et des soldats qui jettent un regard distrait sur votre sac. Jusqu’en 2005, la jeunesse dorée venait dîner dans les restaurants branchés du quartier et les moins nantis déambulaient en matant les jolies filles. Mais depuis trois ans, les partis de l'opposition ont planté leur tente en centre-ville et bloqué le secteur. Les commerces de luxe ont fermé leurs portes ou se sont exilés les uns après les autres. Aujourd’hui, seul un chat trottine sur le trottoir. Je le vois s’arrêter, hésiter et pisser serein sur une colonne. Enfin un peu de vie dans cet espace aseptisé !

mardi 12 février 2008

Retour à Beyrouth

Dans la Toyota noire qui m’emmène à l’aéroport de Roissy, NRJ diffuse sans arrêt des spots de pub pour la Saint-Valentin. Un vrai matraquage, une forme de chantage : « Si vous l’aimez vraiment, offrez-lui une fleur, un bijoux, un parfum, un voyage... » et pourquoi pas le package !. Dans le 4x4 qui vient me chercher à l’aéroport de Beyrouth, La Voix du Liban évoque également le 14 février prochain. La Saint-Valentin libanaise sera chaude, pas forcément au sens érotique du terme. Une grande manifestation est organisée pour commémorer l’assassinat de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri. L’escalade verbale de ces derniers jours fait craindre un dérapage. Dimanche dernier, Walid Joumblatt, le leader druze, a lancé une violente attaque contre le président syrien et contre le chef du Hezbollah : « Vous voulez le chaos ? il sera le bienvenu. Vous voulez la guerre ? elle sera la bienvenue. Nous n’avons pas de problème avec les armes, pas de problème avec les missiles. Nous vous les prendrons. Pas de problème avec le martyre et le suicide non plus ». Voilà le niveau du débat politique actuel.
Romantique en France – les journaux vont certainement éditorialiser sur le présent que Nicolas offrira à Carla – la Saint-Valentin sera hautement politique au pays du Cèdre.

En guise de bienvenu, un drôle de message publicitaire s’est affiché automatiquement sur mon téléphone mobile : « La situation au Liban est instable. Soyez la première prévenu. Souscrivez dès maintenant au service d’urgence mis à jour 24 heures sur 24. Envoyez juste deux SMS vides au 1085 ». Je vais plutôt me faire enregistrer à l’Ambassade de France. Quant aux SMS, je les réserve à mon jules pour la Saint-Valentin !