vendredi 9 novembre 2007

Perturbations automnales

Un nuage noir couvre Beyrouth. Dans l’échancrure, un pan de ciel bleu comme un dernier adieu.
J’entends les gouttes de pluie tambouriner sur les vitres. Il fait nuit noire à 17 heures. Plus de café le matin sur la terrasse, plus de ballades nocturnes sur la corniche, plus de brasses coulées dans les eaux calmes et turquoise des Bains militaires, plus de soirées saturées du parfum des jasmins. Je suis Chti mais déteste la pluie. Elle agglomère la poussière des rues de la ville sans cesse en travaux. Elle colore la mer en gris. Elle rend triste. J’ai le cœur serré comme si ces perturbations climatiques menaçaient la joie nouvelle qui m’habite depuis quelques mois. Le bonheur est fugace, je le sais, je le sens. Un fil si fragile sur lequel chacun tente de trouver son équilibre. Un coup de vent et le funambule se casse la figure. Il n’y a pas de filet, faut pas rêver ! Le bonheur est fugace, je le sens, je le sais. Ça laisse combien de temps docteur ? Combien de temps avant l’orage ? Combien de temps pour assembler ces moments magiques réduits bientôt à de poignant souvenirs, ou pire au film obsédant que l’on se passe en boucle pour nourrir une malsaine nostalgie ? Oui, dites-moi combien de temps peut-on aimer sans souffrir… Le pan de ciel bleu est phagocyté par le nuage noir. Je mets mon imperméable pour me rendre chez le prof d’arabe. L’été est mort.

jeudi 8 novembre 2007

Assad peint

Assad est grec-orthodoxe. Pendant la guerre civile, des miliciens l’ont kidnappé. Juste quelques jours mais il ne s’en est jamais remis. C’était alors un adolescent. Aujourd’hui, à 35 ans, il vit cadenassé à l’intérieur de sa tête malade. Jamais il ne quitte son père. Sa famille a bien tenté de l’emmener voir un psychiatre mais il a piqué une crise terrible, arrachant les cheveux de sa mère. Alors les médecins se contentent de lui prescrire des pilules de couleurs. « Il lui donnent des trucs pour psychotiques alors qu’il est névrotique », soupire son oncle de passage au Liban. Chez lui, Assad aime peindre.

Bint Jbeil

Ce nom évoque quelque chose à tous ceux qui ont suivi la guerre de 33 jours entre le Hezbollah et Israël pendant l’été 2006. Située à proximité de la frontière avec l’Etat Hébreu, la ville a morflé. « Dresdéisée » : les vieilles demeures en pierre sont éventrées, les toits en tuiles rouges effondrés. L’ancien souk ? Pffft, y a plus, disparu !
Jamil, un chercheur brésilien en psychosociologie m’y emmène pour assister à « sa collecte de terrain ». Pour ses entretiens, il a besoin de huit personnes de confession chiite, « moins de 30 ans et plus de 60 ans ». Il construit ses échantillons comme on fait une liste pour le marché. Sa traductrice est une étudiante libanaise en sciences politiques, ravissante avec ses cheveux bouclés auburn et une grâce juvénile qui l’embellit dès qu’elle explique un terme ou s’enthousiasme pour une idée. Il y a des gens comme elle dont la beauté fleurit lorsqu’il s’exprime.

Avant de descendre dans le Sud, il faut se faire enregistrer par l’armée libanaise et obtenir un numéro de passage. Tête de linotte, je l’ai oublié et au check point, me trouve coincée. Impossible de passer. Les sourires enjôleurs et les battements de cils tombent à plat, le militaire de service reste inflexible. Rien n'est jamais perdu au Liban, il faut causer, la traductrice glisse subrépticement que son oncle est le leader du parti Amal (L’espoir) qui « tient » la région. Un coup de fil au tonton et l’affaire est bouclée, je peux traverser. Cela s’appelle la mistbah : le piston.

L’unique hôtel de Bint Jbeil est cher et sinistre avec ses chambres tapissées de lino gris, ses couvre-lits kaki-caca, et un manager aux allures de bouledogue. Le chercheur compte ses sous, propose de ne prendre qu’une seule chambre pour nous trois. Mais c’est impossible au Liban : seuls les couples mariés peuvent dormir ensemble.
La quête des « échantillons » commence par une visite à la municipalité. Jamil est certain que le maire lui ouvrira les portes de ses concitoyens. Pas de chance, le moukthar vient de mourir. Devant le bureau de la reconstruction, nous tentons de glaner quelques renseignements. Mais bientôt c’est l’inverse, un jeune gars à la coupe militaire nous mitraille de questions, veut absolument photocopier le questionnaire de Jamil. Quelques personnes ayant accepté de nous livrer leur témoignage reviennent bizarrement sur leur accord. Nous sommes suivis puis carrément interpellés par un énorme moukhabarat de l’armée qui emporte nos passeports. Explications, tensions, réconciliations. Le grand chef plus aimable explique qu’il s’agit juste d’un contrôle de routine. En attendant, il est certain que tous ceux que nous approchons sont briefés. En fin d’après-midi, c’est à la pharmacie que nous finirons par obtenir le nom de personnes plus coopératives : un professeurs d’histoire, un anthropologue, un dentiste, un plombier et un …combattant. Ce dernier m’avouera, à la fin de l’entretien, avoir promis de rapporter la conversation à qui de droit. Le hezbollah ? l’armée ? Difficile à dire.
Le dentiste est un bel homme, cheveux en broussaille, large sourire, épais sourcils. Dans la salle d’attente de son cabinet, je prends pour un vase posé sur un guéridon le reste de l’obus ayant traversé la maison. Le dentiste nous montre la toiture en vrac, les fissures dans les murs. L’homme est pressé. Entre deux réponses aux questions de Jamil sur la violence et le chiisme, il plombe une dent et saisit sa fraiseuse. Imperturbables, les patients assis sur la chaise en skai du dentiste écoutent l’entretient la bouche ouverte. J’ai du mal à réprimer un fou-rire.
Bientôt c’est au tour du plombier de raconter comment il a vécu les guerres du sud, l’occupation par Israël jusqu’en 2000, la présence « forte » du Hezbollah que tout le monde appelle ici la Résistance. Le père du plombier a « collaboré » avec l’ennemi sioniste dans les années 90. Jamil semble étonné voire indigné. Il faut dire qu’il est plus militant que chercheur. Le plombier nous explique qu’à l’époque, un ami de son père, Abou Youssef ayant refusé de donner son fils à l’armée ennemi de Lahad fut égorgé et sa dépouille traînée par un char dans les rues. Mon fou rire est passé.

dimanche 4 novembre 2007

Enseignes

L’enseigne d’une échoppe de la rue Hamra à Beyrouth vante les GOUFFRES DE BRUXELLES. Est-ce parce que ces gaufres sont si savoureuses que le passant les engouffre avant même d’avoir atteint le marchand de jus de fruits en face où j’aime m’arrêter pour siroter une jus de canne.

A Byblos, la plaque du Docteur Guy Gay-Prada prévient : "Reçois sans rendez-vous, en dehors des heures de sommeil"