jeudi 3 juillet 2008

La maison du bonheur ?

Il a les yeux couleurs miel, les cheveux mi-longs et légèrement ondulés. Une vraie gueule d’ange. Un ange mélancolique. Chacune de ses paroles est voilée d’une lassitude douloureuse. D’ailleurs, il parle peu. Architecte Matthieu a construit avec ses parents ce qui devrait être la maison du bonheur. Cachée dans le village de Ghazir, elle est le résultat d’années d’effort, d’imagination, de compétence. Le feuillage des cyprès fait oublier les murs lépreux du voisin, les bassins emplis de nénuphars sont habités par des grenouilles espiègles. Le sol est doux et frais aux pieds nus. Dans les souks de Damas et d’Alep, la famille a déniché de vieux coffres en bois, des lampes en cuivre ouvragé, des kilims turcs. La salle de bain ressemble à un hammam avec ses larges vasques de pierre et une lumière opalescente. Les chambres, couleur framboise écrasée, ont été adossées à des rochers dont les infractuosités affleurent près des lits. La maison respire la poésie à l’opposé de ces villas coûteuses et cossues qui abîment trop de villages libanais. Après la visite, on boit une zouhrat.
Matthieu bouge peu, boude Beyrouth, transporte sa mélancolie de la demeure familiale de Jounieh à cette villa irréelle, parfois il s’évade sur une plage privée à Tarbaja. Matthieu est l’homme qui évite (et lévite aussi un peu d’ailleurs) : le béton agressif, la bêtise de ses semblables, les excentricités et fautes de goût de ses clients, tout ce qui heurte sa sensibilité artistique exacerbée. Sa vie se recroqueville sur ces quelques territoires, bien à l’abri, constamment en quête d’un cocon protecteur. Sur le mode de la colère, mon amie journaliste Katia exprime cette même révolte contre la laideur du monde actuel. Je l’écoute renchérir aux propos de Matthieu. Tous les deux voyagent au Yémen, en Inde, en Asie du Sud Est à la recherche d’îlots vierges du bruit du monde. Je les écoute parler cette langue étrangère du regret, moi qui suis béate devant le spectacle d’une grue dans un paysage industrielle ou face à un enchevêtrement d’autoroutes.
J’ai l’impression que toute la beauté du monde ne suffirait pas à étancher la soif inextinguible de mes amis. Il s’agit donc de bien autre chose. Un paysage intérieur abîmé, en souffrance. Ils ont morflé ces deux là. La guerre, le décès d’un frère, la trahison d’un amant… Pour bâtir la vraie maison du bonheur, encore faut-il être soi-même heureux.

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