vendredi 28 décembre 2007

une famille d'adoption

Les champs de bananiers ont laissé place à des citronniers et des mandariniers dont les branches ploient sous le poids de fruits gros comme des boules de Noël. Dans les villages, les guirlandes rose et parme des bougainvillées ornent les portails. Plus loin, les cyprès noirs sont au garde à vous et les champs d’oliviers frissonnent sous le vent léger de cette belle matinée. C’est la fête de l’Adha qui la foi d’Abraham prêt à sacrifier son fils pour Dieu et la fin du pèlerinage à La Mecque. Leïla m’a invitée à Zrariye, village du sud du Liban, proche du fleuve Litanie. Dans les bourgs, les habitants se pressent au cimetière pour la prière aux morts. Des rubans blancs et des feuilles de palmiers signalent les maisons prêtes à accueillir le retour d’un pèlerin (Haji).

Longtemps, le Sud fut économiquement tourné vers la Palestine bien plus que vers Beyrouth. Les paysans vendaient leurs produits au grand marché de Haïfa jusqu’à la création d’Israël en 1948. Mais les guerres successives ont cassé les dynamiques locales contraignant beaucoup d’habitants de Zrariye à quitter le pays pour les Etats-Unis (10%) ou pour l’Afrique (90 %). Déjà dans les années 30, une première vague migratoire avait touché le village, de pauvres métayers qui, revenus au Liban, ont immédiatement investis dans la terre. Aujourd’hui, le village vit sous perfusion grâce aux revenus de ces immigrés africains.

A peine arrivée au village, la famille de Leïla effectue la tournée des oncles, tantes, cousins, cousines. Des sauts de puce avec respect scrupuleux du rituel : distribution de chocolats, de marmoul (gâteaux fourré aux dattes), café… On s’installe autour du subah souvent éteint car le bois coûte cher. La télévision diffuse une émission animalière parfois des entretiens politiques insipides : tout le monde s’en fout, personne n’écoute. On s’enquiert plutôt de la santé, du travail, des enfants puis chacun s’interroge sur la date de l’Adha puisque celle-ci dépend du dignitaire religieux chiite que l’on suit : le marja Sistani, Khameneï ou Fadlala. Par conséquent, à Zrariyé, certains font la fiesta le mercredi, d’autres le jeudi ou encore le vendredi.
L’une des familles visitée est en deuil. Dans le salon, les hommes coiffés de keffiehs blancs discutent entre eux et les femmes se réconfortent à l’autre bout de la pièce. « Tout être vivant naît et meurt… il faut demander la patience… elle nous attend de l’autre côté… »

A la « station » suivante, une vieille est alitée, toute frêle avec une chevelure couleur neige, elle n’y entend plus et n’y voit guère. « Je me bats avec Azraïne, (le roi de la mort) et je gagne toujours », soupire-t-elle avant de passer en revue toute la famille. Elle pose des questions sur les neveux et nièces et quand elle n’est pas contente de la réponse, elle râle contre la mère de Leïla et dit avec malice : « tu ne m’écoutes pas, je vais te renvoyer ». Mais au moment de partir, deux larmes coulent le long de sa joue diaphane, la vieille femme me regarde fixement avec ses yeux fanés : « Pourquoi ne vient-on pas me chercher… trois ans que j’attends la mort ! » Je dépose un baiser sur sa main toute fripée.

La tournée terminée, on se pelotonne sous les couvertures tandis que la maman de Leila commente l’actualité heureuse tirée de vieux exemplaires du magazine Point de vue en nous distribuant des châtaignes. Le lendemain, je prends avec elle ma première leçon de cuisine libanaise : manouché, kafta, moutabal… l’occasion de discuter entre femmes notamment de la dureté de son mari, un homme de principe chiite et obtus. Comme ce patriarche n’a pas été consulté pour le choix de la fiancée de son fils, il refuse de participer à la demande officielle auprès de famille de la future belle-fille (la toulbe). Ce sera l’oncle qui viendra, présentera les gâteaux et discutera du montant de la dote. Cette somme se divise en deux parties : la mouqadam (dons, cadeaux) et le mouqahar (qui servira à la fille en cas de divorce ou de répudiation). La cérémonie se termine par la récitation de la fatiha – la première sourate du Coran – et des zalrouka (youyou pour souhaiter bonne chance au couple). Mais la toulbe de Toufic est assombrie par l’absence du père intransigeant et le mariage risque de l’être tout autant. Pour le déjeuner de fête, nous rejoignons deux tantes célibataires qui me font penser aux vieilles filles de Ces Dames au chapeau vert… L’une a perdu son mari très jeune, emporté par une méningite et l’autre a été marié deux jours puis à quitté le domicile conjugale, mais on en sait pas plus, c’est un secret de famille. Rigolotes, elles font preuves de petites attentions l’une pour l’autre et d’un sacré coup de fourchette. Pas de vin à table : on est chez les chiite.
Au cours de ces deux jours, à aucun moment je ne me suis sentie étrangère, assaillie de question. Au contraire. En quittant Zrariye j’ai l’impression d’avoir trouvé une famille libanaise d’adoption.

lundi 17 décembre 2007

Déjeuner chez Tante Sawa

Le jeudi, c’est le jour de nos déjeuners de filles. On se retrouve chaque semaine avec Julia et Leïla au Café Graffiti pour une salade Haloumi (fromage de Chypre) ou au Prague pour une salade César … Ce jeudi-là, les filles m’ont proposé d’innover. On va chez Tante Sawa, minuscule restaurant offrant quelques tables en bois clair et un ou deux plats du jour. Aujourd’hui, c’est mouloukhia (filets de poulet cuit dans un bouillon de feuilles de corette et accompagné de riz).

Julia est Libanaise, a fait ses études à Lyon puis vécu aux Etats-Unis. Elle ressemble aux jolies filles longilignes du dessinateur Kiraz qui travaillait pour le magazine Jour de France. Immense avec ses tenues fluides et ses cheveux vaporeux, des lunettes qui finissent toujours sur le bout de son nez, Julia transforme toute anecdote en épopée dramatique ou en comédie irrésistible. C’est selon. Professeur de linguistique, elle enseigne dans le public, à l’Université libanaise. Un sacerdoce vu les conditions de travail (à la rentrée, elle ne connaissait ni le nom, ni le nombre d'étudiants)
Leïla est une brunette, pas bien grande, pleine de douceur et de sollicitude. Née en Côte-d’Ivoire, de culture francophone, elle a émigré au Liban à 20 ans et enseigne l’Histoire dans un lycée privé lié à l'Université Américaine. Un cadre paradisiaque et un établissement de rêve avec bougainvillés, pelouses, pins...
Julia vient de divorcer, Leïla vient d’être quittée. Alors, forcément, nos repas ressemblent parfois à une réunion de chefs d’Etat-major qui étudieraient les meilleures stratégies de deuil, de reconquête ou de séduction. Mais plus souvent encore, nous évoquons nos différences culturelles et mes deux amies me livrent quelques clés fort utiles pour déchiffrer le quotidien libanais. Chez Tante Sawa, ce jeudi-là, j’ai ainsi appris qu’au Liban, dire non c’est « ultra-agressif », On dit oui et après Inchallah !

« Essaie d'imaginer, poursuit Julia en remuant ses longue mains au-dessous de la mouloukhia, dans le monde Arabe, il y a Toi, l’Autre et la Fatalité (ou Dieu), bref quelque chose que tu ne maîtrises pas et qui peut bouleverser tout engagement, toute promesse, tout rendez-vous. Rien n’est acquis. On est dans l’ordre du vraisemblable ou du probable. Donc il vaut mieux dire Oui, c’est plus sympa et ensuite tu vois …Le non c’est du définitif, malpoli, interdit. »

Je pense comprendre enfin pourquoi le chauffagiste que je poursuis de mes assiduités depuis une semaine m’assure qu’il viendra sans faute entre 9 et 10 heures « demain ». Il me l’a même promis vendredi soir sachant pertinemment que le jour suivant est un samedi férié.

A l'inverse, répondre par la négative n’est tout simplement pas compris des Libanais. Lorsqu’ Ahmad m’a invitée à dîner et que j'ai répondu "niet" car j’allais au concert avec Georges, je me suis retrouvée dans un vrai labyrinte, extrait :
- Ah bon, mais tu peux quand même venir dîner
- Ben non je vais au concert
- Tu sais il y aura Joëlle et son mari. Tu les aimes bien...
- Oui c’est dommage mais je ne peux pas
- Je prépare un mezzé et j’ai acheté des bouteilles de ksara
- ce sera parfait mais sans moi car je vais à un récital de piano
- mais si tu veux on écoute du piano pendant le diner ?
- non ce n'est pas possible
- ça finit à quelle heure ton truc
- mon récital ? tard
- tu peux pas venir alors
- ben non
- ok, alors je te rappelle tout à l’heure pour voir si tu viens au dîner finalement !
D’ici son prochain coup de fil, Dieu ou la fatalité aura peut-être changée la donne.

Parfois même Julia a du mal avec ce flou à l’Université libanaise. Alors que l’établissement de sa copine Leïla fonctionne à l’américaine avec des dates de vacances établies à l'avance, Julia ne connaît toujours pas celles de Noël. « Ils disent que c’est à cause des astres etc. Va pour choisir les vacances du Ramadan (déterminées par l’autorité religieuse qui décide en fonction de la croissance de la lune) mais quand même Jésus il est né à Noël le 25 décembre une fois pour toute non ! »

Les horloges de Beyrouth

De loin, on pourrait croire à de classiques horloges. Installées en hauteur, avec leurs gros chiffres de couleur bleu ou rouge en digital, elles accrochent l'oeil . Et pourtant ces enseignes lumineuses ne donnent pas l’heure mais font le décompte morbide du temps écoulé depuis un assassinat. Il y en a une pour celui de Rafic Hariri, une pour Gibran Tuéni. Une autre calcule la durée de l’occupation du centre ville par les tentes de l’opposition. J’imagine qu’il pourrait y en avoir une, située en face du Sérail, informant le citoyen sur le nombre d'heures de vacance du pouvoir. Quant à mon horloge personnelle, elle décompte les jours me séparant des retrouvailles avec mon amoureux pour Noël.

jeudi 13 décembre 2007

La visite médicale

L’échelle pour accéder à ma mezzanine est raide et je suis maladroite. Depuis le début de mon installation au studio, je pressentais le résultat de cette équation de tous les dangers : j’ai fini par me casser la figure. Un pied qui glisse, un vol plané et je m’écrase de tout mon poids sur mon petit doigt.
Le voyant se colorer (rouge, violet, bleu, jaune) et doubler de volume, je m’inquiète d’un médecin. Le seul que je connaisse ici est l'un des participants à l’atelier d’écriture que je fréquente à Beyrouth : un neurochirurgien, spécialiste des tumeurs. Pas vraiment versé dans les petits bobos aux doigts mais je n’ai que lui sous la main, c’est le cas de le dire.

GH est un quarantenaire bien en chair, avec de fines lunettes et un visage rond. Il m’avait prévenu que sa secrétaire avait passé la retraite depuis bonne lurette. Effectivement, c’est une très vieille dame courbée à l’équerre qui m’ouvre la porte du cabinet et m’offre un café. Tandis que je le sirote, j’entends des éclats de rire de l’autre côté de la cloison. Un neurochirurgien qui se gondole avec ses patients, c’est pas banal. A mon tour.
« Ahlan wa sahlan, ki fik, tu vas bien ? Come, come in ». Il m’accueille avec chaleur dans ce mélange de libano-franglais pratiqué par tant de Libanais.
Sur le bureau du médecin trône la photo de sa fille et de sa femme. Des stars ! Pour me donner une contenance je m'exclame : « Comme elles se ressemblent !». A peine ai-je achevé que je pressens la gaffe. « Ah tu trouves, c’est un hasard car mon épouse actuelle n’est pas sa mère ». Bingo, j’aurai du m’en douter. Cet homme n'est pas le genre monogame. En atelier, il nous a écrit un texte irrésistible sur un type rêvant d’assassiner sa femme tout en étant d’une exquise délicatesse. Son style révélait une bonne connaissance du sujet !
On examine en cinq minutes mon doigt foulé, il propose une attelle et passe vite à ses sujets de prédilections : la littérature, l’Espagne, l’opéra. C’est alors qu’il ouvre un placard secret planqué derrière des volumes d’encyclopédies médicales où il conserve ses « trésors » : des CD, une méthode de langue « apprendre l’Espagnole en 90 leçons » et des romans de Stephan Zweig en collection de poche. « C’est tout ce que je ne peux décemment pas ramener à la maison », explique-t-il, hilare et fier, comme un gamin qui vient de faire une grosse bêtise. Je n’ai toujours pas compris pourquoi un auteur comme Zweig suscitait une telle opprobre à son domicile.
Entre deux patients, GH révise ses verbes irréguliers dans la langue de Cervantès, écoute un morceau de musique ou lit un chapitre de "Vingt-quatre heures dans la vie d'une femme". Au moment de partir, je le vois soulever ses cent kilos pour esquisser quelques pas de salsa en me demandant soudain sérieux et inquiet : « c’est bien comme ça ? »
Non seulement je ressors avec un doigt soigné mais le neurochirurgien m’a donné une pêche d’enfer. Il aurait du faire psy.

mercredi 12 décembre 2007

Le soleil brille avec insolence aujourd'hui sur Beyrouth alors que le Liban se trouve à nouveau plongé dans le deuil. Ce matin, c'est le texto inquiet d'un ami français qui m'a prévenu de l'attentat.
A 7h10, une voiture en stationnement bourrée de 35 kilos de TNT à explosé au passage du 4x4 du général François Hajj, à Baabda, dans la banlieue Est de la capitale. Bilan, deux morts dont le général et plusieurs blessés. Le général Hajj était, pressenti pour succéder au général Michel Sleimane à la tête de l'armée libanaise si Sleimane était élu à la présidence. Il avait également commandé une vaste offensive militaire contre les islamistes du Fatah al-Islam, opération qui a fait des centaines de morts au cours de l'été dans le camp de réfugiés palestiniens de Nahr el-Bared, au Nord.
Tout le monde condamne l'attentat : le Hezbollah, Aoun, Geagea, Hariri, Joumblatt, la Jordanie, La Syrie, l'UE, les USA... Quelle belle unanimité. Reste que pour identifier d'où vient le crime, on retrouve les clivages et les rumeur qui pourrissent le climat politique. La Syrie accuse Israël, un ministre de la majorité accuse la Syrie et Michel Aoun, dénonce la manière "honteuse" dont les forces politiques cherchent à tirer profit de cette mort en faisant directement allusion à Damas.
Aujourd'hui, mon ami Georges se propose de m'emmener à une veillée de prière commémorant un autre assassinat : celui de Gebran Tuéni en 2005. Double triste anniversaire.

mardi 11 décembre 2007

Jazz session

Pour ce concert de jazz organisé à l’American University of Lebanon (AUB), le public est nombreux et l’entrée gratuite. Sur scène, une belle Iranienne, brune, toute vêtue de noir, chante les poètes perses Khayyam et Saadi sous la voûte de la chapelle. Enchantement. Elle est accompagnée d’un batteur indien, d’un pianiste français, d’un bassiste iranien. Tous ont étudié la musique en Allemagne et leur complicité musicale révèle une tendresse amicale. Avant chaque morceau, la diva explique la signification des poésies qu’elle a traduites en musique. Une maîtrise parfaite peut-être un chouïa trop impeccable. Soudain, la chanteuse demande qui parle farsi dans l’assistance. Un impertinent répond : "Les Libanais qui parlent l’iranien ? y font du camping en centre ville" [allusion aux partisans du Hezbollah, parti libanais pro-iranien qui a installé des tentes dans le centre depuis un an exactement !] Eclats de rire dans la salle. Un autre rigolo renchérit : « Si tu reviens dans un an, tous les monde parlera le perse ! » [Allusion au pouvoir de mobilisation du même Hezbollah].
Tout est politique ici, y compris un innocent concert. A la sortie, on s’interroge sur la prochaine sessionde...du Parlement, pas de jazz.

dimanche 9 décembre 2007

Dead line

Le délai constitutionnel pour le choix d’un nouveau président est passé depuis une semaine. Le Liban, comme la Belgique, vogue sans capitaine. Pourtant, le pays semble pousser un grand soupirer de soulagement comme si le boulet de la guerre l’avait épargné de justesse.
Est-ce par frustration que les jeunes du café internet Galaxy, au lieu de tchater tranquilles avec leurs copines, s’excitent derrière leur console en lançant des missiles des balles virtuels sur des cibles humaines ? Et moi, est-ce par superstition que je change de trottoir rue Gouraud pour éviter le magasin Verney-Carron qui se vante d’être « fabriquant de fusils depuis 1651 » ?
Il y a un mois, un FSI (Force de sécurité intérieure) a tiré sur le conducteur d’un 4x4, armé lui aussi. Les deux automobilistes se disputaient le droit de passage. Le type du 4x4 est mort. Plus récemment, à Tripoli, dans le Nord, ce sont des miliciens qui se affrontés. Bilan : un mort dans chaque camp.
Un ami libanais résume avec cynisme : "au Liban tu trouves les ruines romaines, les ruines de la guerre civile et les ruines du demain".

jeudi 6 décembre 2007

L’hirondelle s’est isolée dans un monastère. En silence. En Syrie.

J’ai signé
Depuis près de dix ans, le père Paulo me propose une retraite en silence dans la communauté qu’il a fondée, en Syrie, au nord de Damas. Après moults hésitations, j’ai fini par dire oui. Et j’ai rejoint Mar Moussa, un dimanche soir de novembre.

Paulo
Il a la tête de Moïse et la voix de Pavarotti. En 1982, jeune jésuite romain, Paulo Dall’Oglio étudiait l’arabe à Beyrouth. En pleine guerre, il décide de faire une retraite spirituelle et se retrouve en prière dans les ruines d’un ancien couvent isolé dans le désert syrien. Le monastère date du VIe siècle mais fut abandonné dans la première partie du XIXe. Lorsque Paulo y séjourne la première fois, le bâtiment juché sur un éperon sert de bergerie, les fidèles de l’époque sont les chèvres du vallon, le toit s’est effondré et les magnifiques fresques colorées de l’église se trouvent cachée derrière des enduits. Mais Paulo sent que sa vie va s’écrire dans cet univers de rocher et de sable.
Dès 1984, les travaux de restauration commencent, une communauté se fonde, reconnue en 2005 par le Saint-Siège. Non sans mal. Car le projet chiffonne en haut lieu. Pas banal une communauté où se côtoient hommes et femmes, maronites, catholiques, grecs-orthodoxes, melkites…et en plus est engagée dans le dialogue islamo-chrétien. Elle conjugue la vie spirituelle comme absolue, le travail manuel comme mode de vie et l’hospitalité dans la tradition abrahamique.

Une semaine de silence
La vie est âpre à 1400 mètres d’altitude. On se chauffe au poële, les textes sacrés dansent sous les yeux à la lumière des bougies. Cinq heures de méditation par jour avec au programme, les Psaumes et l’Evangile de Saint-Marc. J’ai vite remisé au fond du sac mon MP3 et le roman pourtant excellent que j’avais entamé (Trois médecins de Martin Winkler).
Sortie du cadre de l’Eglise depuis déjà quelques années, je me demandais ce que je fabriquais là avec cette perspective de solitude, l’aridité des textes bibliques… Seule certitude, je savais que Paulo n’essaierait pas de « me récupérer ».
« On va chercher Dieu et tu vas aller ton chemin », m’a-t-il annoncé d’emblée. Et la méditation finalement c’est comme la randonnée, les premiers pas sont terribles et puis on acquiert un rythme.
Le matin, je grimpe le long du wadi, m’assoie sur une pierre avec le chien du monastère qui me suit en ballade et tous les deux, on s’enfonce dans le silence. Lui, je ne sais pas trop à quoi il pense ; moi, je me laisse porter par les échos des textes sur ma petite existence et sur mes grandes questions. La cloche du déjeuner sonne à 14h30. La vocation d’accueil du monastère attire des gens de tous horizons : habitants du coin, étudiants d’Alep, simples touristes, expatriés installés à Damas, Onusiens, mystiques authentiques ou paumés déboussolés, marcheurs ou glandeurs. C’est selon. Dans l’après-midi, chacun à notre tour, (nous sommes trois retraitants), nous débriefons nos découvertes ou nos doutes avec Paulo. J’aime les homme de foi qui savent aussi dire « je ne sais pas » et qui n’ont pas réponse à tout. Le soir, pendant la messe, Paulo n’hésite pas à poser des questions à la petite assemblée, histoire de réveiller un peu le fidèle assoupi à cause de la chaleur du poële et de l’ambiance feutrée de cette chapelle si belle ! C’est le côté provocateur du bonhomme. Des débats s’instaurent parfois. Un soir, trois chaldéens d’Irak apportent leur témoignage (l’un d’eux a été enlevé quelques jours par Al Qaeda). La contemplation n’exclue pas la réalité, au contraire. Mar Moussa est au cœur de bien des problématiques de la région. Et Paolo n’est pas le dernier à donner son avis.
Je l’avoue, je le confesse, j’ai triché un peu sur le silence pour écouter le récit de vie de ma co-retraitante qui fit les 400 coups pendant quatre ans avant mettre un terme à son parcours mortifère et pour discuter avec jeune Breton, berger l’été écrivain l’hiver, qui avala des milliers de kilomètres à pieds entre Nice et Jérusalem. Il avait le regard doux et serein du voyageur qui semble toujours fixé sur un horizon à atteindre. Quant à la violation de la règle du silence je venais de lire l’Evangile ou Jésus affirme : « le sabat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabat ». Alors !