jeudi 8 novembre 2007

Bint Jbeil

Ce nom évoque quelque chose à tous ceux qui ont suivi la guerre de 33 jours entre le Hezbollah et Israël pendant l’été 2006. Située à proximité de la frontière avec l’Etat Hébreu, la ville a morflé. « Dresdéisée » : les vieilles demeures en pierre sont éventrées, les toits en tuiles rouges effondrés. L’ancien souk ? Pffft, y a plus, disparu !
Jamil, un chercheur brésilien en psychosociologie m’y emmène pour assister à « sa collecte de terrain ». Pour ses entretiens, il a besoin de huit personnes de confession chiite, « moins de 30 ans et plus de 60 ans ». Il construit ses échantillons comme on fait une liste pour le marché. Sa traductrice est une étudiante libanaise en sciences politiques, ravissante avec ses cheveux bouclés auburn et une grâce juvénile qui l’embellit dès qu’elle explique un terme ou s’enthousiasme pour une idée. Il y a des gens comme elle dont la beauté fleurit lorsqu’il s’exprime.

Avant de descendre dans le Sud, il faut se faire enregistrer par l’armée libanaise et obtenir un numéro de passage. Tête de linotte, je l’ai oublié et au check point, me trouve coincée. Impossible de passer. Les sourires enjôleurs et les battements de cils tombent à plat, le militaire de service reste inflexible. Rien n'est jamais perdu au Liban, il faut causer, la traductrice glisse subrépticement que son oncle est le leader du parti Amal (L’espoir) qui « tient » la région. Un coup de fil au tonton et l’affaire est bouclée, je peux traverser. Cela s’appelle la mistbah : le piston.

L’unique hôtel de Bint Jbeil est cher et sinistre avec ses chambres tapissées de lino gris, ses couvre-lits kaki-caca, et un manager aux allures de bouledogue. Le chercheur compte ses sous, propose de ne prendre qu’une seule chambre pour nous trois. Mais c’est impossible au Liban : seuls les couples mariés peuvent dormir ensemble.
La quête des « échantillons » commence par une visite à la municipalité. Jamil est certain que le maire lui ouvrira les portes de ses concitoyens. Pas de chance, le moukthar vient de mourir. Devant le bureau de la reconstruction, nous tentons de glaner quelques renseignements. Mais bientôt c’est l’inverse, un jeune gars à la coupe militaire nous mitraille de questions, veut absolument photocopier le questionnaire de Jamil. Quelques personnes ayant accepté de nous livrer leur témoignage reviennent bizarrement sur leur accord. Nous sommes suivis puis carrément interpellés par un énorme moukhabarat de l’armée qui emporte nos passeports. Explications, tensions, réconciliations. Le grand chef plus aimable explique qu’il s’agit juste d’un contrôle de routine. En attendant, il est certain que tous ceux que nous approchons sont briefés. En fin d’après-midi, c’est à la pharmacie que nous finirons par obtenir le nom de personnes plus coopératives : un professeurs d’histoire, un anthropologue, un dentiste, un plombier et un …combattant. Ce dernier m’avouera, à la fin de l’entretien, avoir promis de rapporter la conversation à qui de droit. Le hezbollah ? l’armée ? Difficile à dire.
Le dentiste est un bel homme, cheveux en broussaille, large sourire, épais sourcils. Dans la salle d’attente de son cabinet, je prends pour un vase posé sur un guéridon le reste de l’obus ayant traversé la maison. Le dentiste nous montre la toiture en vrac, les fissures dans les murs. L’homme est pressé. Entre deux réponses aux questions de Jamil sur la violence et le chiisme, il plombe une dent et saisit sa fraiseuse. Imperturbables, les patients assis sur la chaise en skai du dentiste écoutent l’entretient la bouche ouverte. J’ai du mal à réprimer un fou-rire.
Bientôt c’est au tour du plombier de raconter comment il a vécu les guerres du sud, l’occupation par Israël jusqu’en 2000, la présence « forte » du Hezbollah que tout le monde appelle ici la Résistance. Le père du plombier a « collaboré » avec l’ennemi sioniste dans les années 90. Jamil semble étonné voire indigné. Il faut dire qu’il est plus militant que chercheur. Le plombier nous explique qu’à l’époque, un ami de son père, Abou Youssef ayant refusé de donner son fils à l’armée ennemi de Lahad fut égorgé et sa dépouille traînée par un char dans les rues. Mon fou rire est passé.

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