dimanche 29 juin 2008

C'est le jour du Seigneur

Dans un pays où la religion majoritaire bannit l’image, le foisonnement des portraits au Liban m’intrigue : le collier barbu de Nasrallah omniprésent dans la Dahye (banlieue sud chiite), le visage juvénile de feu Pierre Gémayel à l’entrée du tunnel près du Nahr Ibrahim, le double menton des Hariri père et fils sur les murs de Qoreitem, et la casquette militaire du nouveau Président au Nord, au Sud, à l’Est et à l’Ouest. Le visiteur de passage au Liban, même dépourvu de télévision, devient vite un expert capable de reconnaître les principaux acteurs de la vie politique et religieuse libanaise. Dès la route de l’aéroport et jusqu’à Tyr, d’autres visages se succèdent, accrochés aux lampadaires. Ce sont les martyrs des guerres contre Israël, représentés sur fonds coucher de soleil, avec bouquets de roses d’un côté et mitrailleuse de l’autre. Jeunes, ou rajeunis par photoshop, ils ont un regard presque joyeux. Six pieds sous terre, leur image leur survit, transmettant aux vivants l’impression mensongère que ce funeste destin reste la meilleure chose qui leur soit arrivée.

Depuis un mois, à Beyrouth et dans les régions chrétiennes, une nouvelle affiche a fleuri. Un vieillard à la longue barbe grise, sorte de Karl Marx anorexique. Il s’agit du père Jacques Haddad de Ghazir (1875-1954), prêtre de l’ordre des Frères mineurs, capucin, béatifié dimanche dernier, place des Martyrs. Devenu bienheureux, il a fait un pas de plus vers la canonisation et sera fêté le 26 juin. La reconnaissance de la sainteté par le Vatican est un long chemin aux étapes obligées que la biographie officielle du Père Jacques vient opportunément confirmer : Haddad fut, dès son plus jeune âge, « intelligent, travailleur, consciencieux ». A force de prière et de jeûnes, il convainquit son père de sa vocation à la prêtrise. Véritable « Bon Samaritain », il témoigna de sa foi par ses œuvres, créant des orphelinats, des écoles et l’ordre des Franciscaines de la Croix. Enfin, cerise sur le gâteau, ce presque saint est à l’origine d’une guérison miraculeuse. Le biographe Salim Rizkallah expose comme suit le long processus de vérification du miracle « En 1998, la guérison de Mme Mariam Kattan de Maghdouché, atteinte d'un cancer malin et incurable ouvrit la voie à la béatification. La commission médicale a constaté la guérison, en termes techniques, d'une "néoplastie primaire occulte (NPO) avec métastase au dessus de la clavicule droite avec carcinome épidermoidal légèrement différentiel à activité mitotique". En 2005, Mgr Paul Dahdah, vicaire apostolique des latins au Liban, institua un tribunal accrédité pour recevoir les dépositions des témoins, médecins et autres pour s'assurer canoniquement du caractère miraculeux de cette guérison. Le dossier complet fut ensuite envoyé à la Congrégation pour les causes des saints qui désigna deux médecins experts. Leur rapport qui s'avéra positif fut soumis à une commission médicale consultative qui approuva à l'unanimité le rapport des deux experts. Le 1er janvier 2007, une autre commission, constituée, cette fois, de consulteurs théologiques confirma que la guérison avait été obtenue grâce à l'intercession du P. Jacques. Le 20 octobre 2007, une nouvelle Commission composée de cardinaux et d'évêques approuva le fait, et c'est Benoît XVI qui, le 17 décembre 2007 a signé le décret relatif. » Les multiples filtres du Vatican semblent ainsi exclure toute imposture. Anticipant les conclusions de tous les experts, le biographe conclut dans sa notice, de façon prophétique, que Jacques Haddad était mort «en odeur de sainteté le 26 juin 1954. » Finalement, tout le travail de Rome consiste désormais à transformer cette odeur de sainteté du défunt Haddad, vraisemblablement trop évanescente en une date concrète et dûment labellisée sur le calendrier.

Je n’apprécie guère la plupart des formules sentencieuses et sulpiciennes de ce père Haddad qui me semblent profondément marquées par une époque célébrant à outrance le sens de la souffrance : « Le plaisir le plus grand est de dépasser le plaisir ; la croix la plus lourde est d'avoir peur de la croix. Au lieu de vous tordre le cœur, amarrez votre cœur à la croix. »
Ou encore « Souffre et prie. Nous souffrons en priant, et nous prions pour ceux qui ne savent pas comment souffrir. »
Pourtant d’autres pensées me touchent : « Imitez la source : elle ne dit pas à celui qui vient boire :'Dis-moi de quel pays tu viens et quelle est ta religion', mais plutôt : 'Tu as soif… bois donc ! », « La santé est une couronne sur les têtes des bien portants. Seuls les malades la voient », « La perfection de la création est l'homme. La perfection de l'homme est la raison. La perfection de la raison est l'amour. La perfection de l'amour est Dieu ».


Un homme d'Eglise me confiait : «Il y a davantage de religion que de spiritualité et de religieux que de croyants dans ce pays». Une chose est sûre, au Liban, les ordres sont multiples : moines antonins, baladites, de Kaslik, kréymites, soeurs de la Sainte Famille maronite, de Sainte Thérèse, religieux chouarites, salvatorien. Sans compter les ordres internationaux présents au Liban : jésuites , franciscains, dominicaines, capuccins, les soeurs de la Sainte Famille de Besançon, du Bon Pasteur, Petites soeurs .
« Les Libanais aiment que chaque ordre masculin possède son équivalent féminin, ajoute un ami jésuite. Alors comme il n’y avait pas de jésuitesses, ils ont fondé les sœurs du Saint-Cœur qui ont les mêmes fondamentaux que la Compagnie de Jésus» (Au début j’entendais les sœurs de Cinq heures et cherchais désespérément à quel événement de la vie du Christ cette cinquième heure pouvait faire référence !)

Enfin, pour en terminer avec ces congrégations aux noms désuets, je ne peux manquer de citer cet évêque de Jaboulé qui, au XIXe siècle isolé avec sa communauté au Nord de la Beqaa, eut la lumineuse, et très certainement divine idée, de créer un ordre de femmes pour lui tenir compagnie. Très inspiré, l’homme d’Eglise baptisa cette nouvelle congrégation : les sœurs de ND du Bon service.

Aujourd’hui c’est dimanche, j’entends les cloches de l’église arménienne sonner, bientôt ce seront celles des Latins à moins que je ne confonde avec celles des Melkites. Qu’importe, c’est le jour du Seigneur.

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