mardi 22 avril 2008

Maternités

Quatre de mes amies sont enceintes. L’une d’elle vient d’accoucher d’un garçon qu’elle ne gardera pas : elle est mère-porteuse pour sa cousine qui ne pouvait enfanter suite à un cancer de l’utérus. Avec les autres « ventres ronds » et leurs compagnons, nous allons barboter près de Amchit. Une maison bleue, une table dressée au bord de l’eau, de la musique cubaine et du bar grillé. Les hommes et moi trinquons à l’arak, les femmes qui « attendent » sont au Perrier.

Comme partout dans le monde lorsqu’un heureux événement se prépare, la conversation roule sur les prénoms : « Ma première je l’ai appelée Aya ce qui signifie à la fois le verset et la
pureté. On dit par exemple une vie pure, une beauté pure…
» [« ou du canabis pur ! Surtout si tu es de la Beqaa », glisse un impertinent]. Imperturbable la maman poursuit : « Bon, le problème c’est que Aya est un prénom surtout adopté par les musulmans alors que mon mari est maronite ». « Moi j’ai appelé mon fils Noureddine comme mon père mais les gens raccourcissent et disent Nour (la lumière) qui est un prénom féminin. » « Dans ce foutu pays, je veux être utopique et mon second s’appelera Salam (la paix) », affirme rebelle Lina.

J’aime ces prénoms arabe qui arborent explicitement leur sens : Karim (le généreux), Darine (qui a deux maisons : la terre et le paradis), Rim (la gazelle), Ali (noble), Chaker (celui qui remercie), Rafik (le compagnon de route), Tarek (le voyageur), Farrah (la joie), Feyrouz (la Turquoise), Amal (l’espoir), Bachir (l’annonce de bonnes nouvelles), Chirine (la douce)…
Joumana (joyau), Amin (le constant), Dounia (la terre entière)…

Une petite brune écoute ces propos, l’air un peu triste. Comme moi, elle n’appartient pas au club des futures maman et me chuchote : « c’est dur pour moi d’entendre ça, j’ai avorté l’an dernier. » Au Liban l’IVG est prohibé sauf si la grossesse présente un risque médical pour la mère. Mais comme dans tous les pays, on s’arrange toujours moyennant finances. La petite brune sort de sa torpeur mélancolique. A présent elle est en pétard contre le Liban. «Je vais quitter mon pays et en trouver un autre sans chrétiens ni musulmans, avec que des…boudhiste ! », lance-t-elle. Elle ne comprend pas pourquoi une Libanaise ne peut transmettre sa nationalité parce qu’elle est femme. Elle ne comprend pas pourquoi on s’étonne qu’elle soit sexy tout en étant de Nabathiye et qui plus est chiite. Elle ne comprend pas pourquoi on s’intéresse d’abord à sa confession plutôt qu’à sa personne. Elle comprend trop bien pourquoi les responsables religieux ont refusé l’instauration du mariage civil qui les aurait privé de substantiels revenus tant il est vrai que, pour n’importe quelle démarche auprès d’un évêque ou d’un cheikh (baptême, mariage, annulation de mariage, changement de religion…), il faut d’abord verser son écôt.
Sa colère a jeté un froid. On pique tous une tête dans la mer turquoise. Les ventres ronds flottent. Moi je reste pensive.

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