mercredi 5 mars 2008

Chaud-froid dans le Chouf

Notre convoi a enfin quitté Beyrouth. Nous devions partir très tôt mais le temps de trouver les moufles des uns, les bonnets de autres et d’engouffrer les croissants aux amandes de chez Ali Baba, le soleil est déjà haut. La météo s’est plantée, elle annonçait un grand soleil et c'est la purée de pois. On s'entasse dans les 4X4, mon prof d’arabe et sa famille, son beau-frère et ses gamins, une cousine esseulée et une amie enceinte sur le point d’accoucher. Après une pause manouché pour les petits (sorte de pizza mais en bien meilleur), une pause café pour les grands, une pause pipi pour tout le monde, nous voici dans le massif du Chouf, en pays Druze. Quelques vieux en habits traditionnels observent moqueurs notre débarquement. Après une heure de marche, le groupe redescend manger, sauf mon prof d’arabe et moi. On chausse les raquettes et à nous les grands espaces.

Des écharpes de brumes s’accrochent aux branches de cèdres centenaires. On ne parle pas, ou si peu. Rompre la paix de cet espace immaculé serait indécent. Seul le chouik chouik de nos raquettes résonne dans la montagne. Notre démarche ressemble à celle de pingouins malhabiles. Je me marre en silence. La neige enivre. A travers le frimas, j’aperçois mon prof, légèrement voûtée, esquisser quelques saut de carpes comme un personnage de dessins animés. Il est heureux et chantonne. Sur le bas côté, une étrange fleur émerge du givre. Sa corolle violette tachetée de jaunes est un miracle de couleur dans cet univers lacté.
Lorsque la pente augmente, la pensée s’épaissit, devient lourde, colle aux pas. Le poids de la fatigue pèse. Puis, au fur et à mesure de la progression, l’esprit s’épure, s’accroche à la nature, s’égard en rêveries au rythme de la marche. Droite, gauche. Droite, gauche. Je pourrai aller au bout du monde.

Nous croisons un club de randonneurs. Leur guide échange quelques mots avec mon compagnon de marche. En l’espace de cinq minutes, je les vois troquer leur numéro de portable : l’un informe l’autre qu’il lance un label de commerce équitable et l’autre rétorque que « justement » lui-même est producteur d’huile d’olives. Je reste stupéfaite par la capacité des Libanais à mêler loisirs et business n’importe où, même sur les pentes enneigées du Chouf. J’ai vu des cartes de visites s’échanger entre inconnus dans la salle d’attente d’un cabinet médical, dans l'ascenseur entre le rez-de-chaussée et le troisième étage, dans la file d’attente d'un cinéma… Pas de temps mort pour le commerce chez les descendants des Phéniciens !
Au sommet, le vent souffle. La crête est chauve, sans neige. Nous grignotons pommes et des manaïches avant de regagner la plaine et puis la ville.

Grisée, épuisée et gelée, je me suis effondrée sur le canapé de mon studio, toute lumière allumée, bercée par le ronron du chauffage électrique. Je m’enfonce dans un songe : un paysage tout blanc, le brouillard si dense qu’il dégage une odeur âcre, des flocons géants qui tombent drus avec un bruit de tonnerre. Oui, c’est ça, ils tambourinent. Merde ! je ne rêve pas ! Il est à peine 22 heures, les Sri Lankaises du dessus frappent à la porte, hurlent pour que je me réveille. Le studio est envahi par une épaisse fumée qui pue le plastique. Quelques flammes lèchent déjà le mur de la mezzanine, on se précipite, on éteint le feu naissant. C’est un court-circuit. Le voisin du dessous, beaucoup plus anxieux que moi-même qui suis encore à moitié dans mon rêve, m’invite à passer la nuit chez lui. Je remercie tout le monde. C’est un jeu de mot un peu facile mais je leur dois une fière chandelle !

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