dimanche 9 mars 2008

« J’ai rencontré Arafat »

Ahmad évoque la rencontre sans forfanterie. Fin des années 70, le Liban se trouve plongé dans la tourmente de la guerre civile. L’OLP a encore son siège à Beyrouth. Les Syriens sont arrivés en 1976 et les Israéliens en 1978. Il y a aussi des marines américains, des soldats français, des Italiens... Bientôt, les Iraniens pousseront leurs pions. Le Pays du Cèdre est alors un terrain de jeu pour tous les acteurs régionaux et internationaux de la Guerre froide. Ahmad, à peine sorti de l’adolescence, joue encore au foot. Un après-midi, sur le stade où il dribble, apparaît un homme barbu coiffé d’un keffieh noir et blanc. C’est Yasser Arafat. Poignée de mains, échanges de propos autour du foot, de la politique, de la guerre… Quelques semaines plus tard, Ahmad rejoint les partisans libanais des fedayins palestiniens. On l’entraîne au maniement de l’AK47, il coiffe lui aussi le keffieh et professe des idées marxistes.

La famille d’Ahmad est sunnite et d’origine modeste. Son père a deux épouses et huit enfants. C’est une espèce de Rhett Butler libanais, qui a fait sa pelote pendant le conflit grâce à la contrebande de cigarettes. Il apprécie peu l’engagement de son fils. Pour calmer ses ardeurs de combattants gauchistes, il l’envoie au paradis de la consommation, aux Etats-Unis. Ahmad débarque seul en Californie, y rencontre une Américaine, se marie et fait un enfant. Un mariage pour les papiers se transforment en une forte histoire d'amour. Sa belle-mère est danoise et son beau-père mexicain, ils ont vu le film polémique Jamais sans ma fille, tiré du best-seller de Betty Mahmoody et vivent dans la crainte qu’Ahmad n’enlève un jour leur petite-fille pour l’emmener dans ce Moyen-Orient si effrayant vu de Los Angeles.
Après seize ans d’Amérique et un divorce, Ahmad décide de rentrer au pays. Il arrive à Beyrouth les poches vides, sans plan de carrière. « T’as donc rien fait là-bas », râle son père inflexible. Le Liban qu’il retrouve a bien changé. Marx n’est plus à la mode, le Mur de Berlin est tombé, il faut faire de l’argent, profiter de la reconstruction. Il se sent un peu étranger dans son propre pays, sympathise surtout avec les autres ex-exilés.

Cette histoire, il me l’a racontée lors d’une interview en 1998 devant une glace à la fraise. Je le retrouve dix ans plus tard devant un verre de kefraya, râblé, coiffé en brosse, toujours très beau, juste un peu vieilli. Il a refusé de rentrer dans l’entreprise familiale de cigarettes, préférant mettre ses talents au service d’une boite internationale. D’après ce que j’ai compris, il joue les pompiers quand des problèmes se posent au sein des filiales d'un groupe qui vend des programmes éducatifs...américains. Souvent entre deux avions, il voyage partout dans le monde, surtout dans le Golfe. Etrange mélange de grande douceur et de fermeté, Ahmad fait merveille du Caire à Dubai.
Je me perds dans son appartement qui contient six fois mon deux-pièces parisiens. Au quatrième étage du même immeuble habitent ses parents, au second il y a son frère aîné et tout en haut, une soeur. Le matin, la maman bas le rappel pour partager le labneh et les olives du petit-déjeuner. Parfois les neveux et nièces débarquent le soir chez ram (tonton) Ahmad. Cette cohabitation familiale intergénérationnelle n’est pas rare au Liban.
Ahmad s’est remarié avec une Libanaise. Ça a duré six mois. Américain au Liban, Libanais aux Etats-Unis, c’est une identité pas très facile à gérer.

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