vendredi 21 mars 2008

le sobhieeh

Chaque mois, les femmes de la famille F. se réunissent toutes générations confondues. Ce jeudi-là, c’est au tour de la mère de Leïla de recevoir les tantes, cousines, nièces pour un sobheeh (petit déjeuner gargantuesque). Les hommes sont exclus de ces retrouvailles mensuelles et chaleureuses. A 10h, elles sont toute là, une vingtaine de femmes, voilées ou non, en robe ou en jean. La plus âgée a 82 ans, la plus jeune vient de naître et la moitié des convives a vécu en Côte-d’Ivoire. Sur la table, des manaïches, du labneh, des oignons sauvages, des radis et du foul parfumé à l’ail. La maîtresse de maison s’est levée à 5 heures du matin pour préparer ce festin. En dessert, elle offre des oranges amers, un kenifé (gâteau au miel et au fromage à 1000 calories la portion) et une espèce de génoise crémeuse et colorée dont on trouve la réplique dans les boulangeries chinoises de Belleville.
Les mains piochent dans les plats. Ma voisine infirmière, née à Abidjan a vécu en France, en Suisse, aux Etats-Unis et au Liban, s’est mariée avec un lointain cousin, a divorcé au bout de six mois et désormais s’occupe d’une entreprise d’import-export de fleurs entre l’Afrique et la France. « Jamais je ne reviendrai vivre ici, m’explique-t-elle. Le pays est trop instable et communautaire. J’ai passé mon enfance en Côte-d’Ivoire en me déclarant libanaise. Point. C’est au Liban que j’ai découvert ma confession non seulement musulmane mais chiite !!! »

L’hôtesse a hésité à maintenir ce repas traditionnel. Son frère se meurt d’un cancer dans une clinique à Bordeaux. Il souhaiterait finir ses jours là où il les a commencé, en Côte-d’Ivoire tout en étant enterré au Liban, son pays. Compliqué : comment concilier des identités en millefeuilles ?

Sitôt le sohbiye terminé, tout le monde se lève et disparaît. Avant de quitter, une amie de la famille qui porte le doux nom de Sirène prend ma tasse de café, la renverse puis « traduit » les dessins laissés par le marc. « Tu vas recevoir une belle somme d’argent (Alhamdullilha), tu hésites entre deux voies, l’une te donnera la joie (laquelle mystère !) et tu rencontreras une femme aux long cheveux et enceinte ». Jeune mariée, Sirène a une belle chevelure brun roux. C’est elle la femme enceinte que je dois rencontrer, j’en suis sûre ! A mon tour, je joue les madames Soleil et lui prédit l'arrivée prochaine d'un bébé. Elle sourit et reprend du Kénifé : « pour le futur enfant » A propos, aujourd'hui, jour de printemps, c’est aussi la fête des mamans au Liban.

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