vendredi 28 mars 2008

week-end pascal

Pour les chrétiens d’Orient, Pâques est la grande fête de l’année liturgique, plus significative que Noël puisque c’est la résurrection du Christ qui fonde leur foi. Le monastère syrien de Mar Moussa d’ordinaire isolé dans un silence recueilli, bourdonne comme une ruche. Familles chrétiennes de Damas ou d'Alep, expatriés, routards, tout le monde participe dès le samedi à la cérémonie de la réconciliation au terme de laquelle le fidèle prie successivement face aux quatre points cardinaux. Paulo, le prêtre officiant, nous donne rendez-vous le lendemain à … 4 heures du matin pour la messe pascale. Pendant un instant, je pense qu’il blague. Que neni ! Avant l’aube, chacun descend de la montagne vers le monastère, à la lumière de bougies, de lampes torche ou de la pleine lune, pour se retrouver à l’intérieur de la chapelle plongée dans l’obscurité totale et un silence absolu.
Les religieux portent une cagoule noire et une étole rouge vif. Les textes sont lus en arabe classique alors je pique du nez par intermittence. La cérémonie dure trois heures, lente montée en puissance qui se termine par des youyous et un dabkeh (danse traditionnelle arabe) sur la terrasse du couvent. On se lance les uns aux autres du : « Messih raqam » (Christ est ressuscité) dont la réponse attendue est « raqam qan » (vraiment il est ressuscité) ; on heurte par jeux l’œuf dur du voisin pour tenter d’en briser la coquille ; on croque des sablés à l’anis et du chocolat noir. A midi, exceptionnellement, il y aura de la viande et le soir, un bon petit vin rouge tiré de vignes proches de Homs.
Le festin terminé, une discussion s’improvise autour de Paulo sur l’avenir de la région. Pessimiste, le religieux affirme qu’il s’agit désormais de gérer le désastre consécutif à la guerre en Irak. « Puisque personne ne veut plus vivre ensemble, il faut donner à chaque communauté religieuse ou ethnique le droit de se gérer elle-même. On ne peut forcer personne à devenir citoyen d’un Etat qui n’est pas désiré. Arrêtons d’absolutiser la nation ! vitupère le jésuite. Pour éviter les risques de guerre civile au Liban, la seule solution c’est un Maronistan, un Hezbollahistan, un Druzistan etc. En Irak, il faut que les chiites et les sunnites obtiennent leur territoire comme les Kurdes ont le leur. » Je reste perplexe devant cette perspective de cantonisation qui me semble un renoncement insupportable au pluralisme. Pas sur en plus que ce soit le réel désir des populations.

Pour rentrer à Damas, je suis prise en stop par des chargés de mission d’une ONG française qui œuvre dans le développement. Serrés dans leur voiture cahotante – les devises du pétrole syrien ne sont visiblement pas investies dans les infrastructures routières du pays – nous traversons une plaine jaune et sèche. Un homme paumé dans ce désert hostile agite un drapeau. C’est un gardien qui signale le passage du train reliant une fois par semaine Téhéran à Damas (et qui aurait transbahuté des armes interceptée par les Turcs). J’imagine le stress de ce pauvre type dont la préoccupation essentielle consiste probablement à se maintenir coûte que coûte éveillé pour ne pas louper les cinq minutes critiques du passage hebdomadaire de ce train.

Le partenaire local de cet ONG est un prêtre de village qui gère un vaste domaine agricole. Avant de dépeindre la triste situation hydraulique et politique de la région, il nous propose ses produits : mélasse, raisins secs, huile d’olive. Pas question de d’exploiter la vigne autrement que pour le raisin à cause du caractère très « sunnite » de la région.
La terre a soif. Jadis, le village disposait de 23 sources. Toutes sont épuisées. Cette année, il a fait très froid (-17°C), neigé deux fois mais pas une goutte de pluie n’est tombée. « On parle de commerce équitable des produits locaux, mais s’il n’y a plus d’eau, ça ne sert à rien », relève lucide un des chargés de mission. Il suggère de privilégier l’arboriculture moins gourmande et notamment les amandiers qui, après trois ans d’arrosage, ont l’avantage de la sobriété. Dans la région, l’Etat syrien a tout bonnement interdit aux paysans de planter du blé, de l’orge ou des légumes, cultures trop consommatrice en eau.
Autre souci du pauvre curé, son huile d’olive est d’excellente qualité mais impossible à exporter à cause des problèmes politiques de la Syrie. L’ONG propose de faire jouer ses réseaux de solidarité et de mettre en contact le partenaire syrien avec ses alter ego tunisien pour comparer les systèmes d’irrigation. La visite se termine par un tour dans l’église Saint Julien (un ermite originaire d’Edesse), dont le tombeau est vénéré – phénomène courant au Moyen-Orient – à la fois par les chrétiens et les musulmans. Le prêtre a voulu faire analyser les os du saint et étudier la calligraphie syriaque du sarcophage mais s’est heurté à un refus de la part des autorités ecclésiales locales. Le sacré doit rester indéchiffrable.

La veille nous étions dans hautes sphères de la spiritualité pascale et devisions de géopolitique. Aujourd’hui, j’écoute ce curé parler de problèmes concrets, de nappes phréatiques et de sol calcaire. Mais je sens que tout cela est relié, pour le pire et pour le meilleur aussi.

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