jeudi 20 mars 2008

Laure et Joseph

« Accepterais-tu de relirrrrre mon manuscrrrrrit ? »
Ça me pompe ! Je suis d’une humeur de chien et n’ai aucune envie de parcourir la centaine de pages écrites par la Doyenne de la faculté des sciences de l’Education.
Mais comment dire non à cette voix qui chante au téléphone ?
« Oui, bien sûr je lirai votre document avec plaisir »
Je peste.

Nous avons rendez-vous au Café des Lettres pour la remise du texte à corriger. Nada est une Libanaise d’une quarantaine d’années. Un visage long, étrangement rectangulaire posé sur un corps immense et mince. Silhouette d’échassier, toute vêtue de noir. Quand elle marche on dirait une danseuse
Je tente d’être aimable sans vraiment me convaincre moi-même et rentre au studio avec le manuscrit sous le bras. Me voici à ma table de travail, le crayon rouge affûté, prête à dézinguer, griffonner, gribouiller. Véritable sniper de la correction, je ne laisserai rien passer.
Et puis dès les premières phrases, le charme agit. Des phrases simples et limpides se succèdent pour raconter l’histoire de Joseph et Laure, les parents de la Doyenne de la faculté des sciences de l’Education. Un récit d’engagement humaniste au sein d'un couple soudé par un amour profond.
La mère de Nadia, née en 1929, décédée en 1997, fut une grande figure de la lutte pour les droits des femmes au Liban et dans le monde arabe (membre du Comité des droits de l’homme de l’Onu, vice-présidente du Conseil International des Femmes, vice-présidente de la Fédération Arabe des Femmes et présidente du Conseil National Libanais pour les femmes). Je la vois à travers les mots de sa fille : élégante, attentive au détail, férue d'arts et de lettres, recevant peintres et romanciers à sa table, belle certainement et surtout amoureuse jusqu’à la fin d’un grand enfant idéaliste… Elle l'a rencontré sur un lit d'hopital, il avait pris un mauvais coup lors d'une manifestation.
Joseph, le père, fut un avocat réputé, activiste des droits humains, fondateur en 1969 du Parti Démocratique Libanais et président de l’Association Libanaise des Droits de l’Homme. Il mourut en 1995, au lendemain de sa nomination comme ministre de l’Environnement dans le gouvernement de Rafic Hariri Leur fille les présente par petites touches, à travers des anecdotes qui dévoilent une maison du bonheur, malgré la guerre civile et le suicide d’une de leur fille. Le texte dégage tant d’amour…
Je me la joue plus modeste lors de notre deuxième rendez-vous avec Nada, dans un bar cosy installé à l’étage d’une ancienne demeure beyrouthine. Nada répond avec douceur à toutes mes questions sur Laure et Joseph, le secret de leur couple, le moteur de leur engagement… Toujours cette voix chantante. C’est magnifique de parvenir à travers les mots à faire aimer aux lecteurs, en l’occurrence à une lectrice mal lunée, ces inconnus célèbres, ses parents Laure et Joseph Moghaizel.

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