mardi 19 février 2008

L'atelier d'écriture

L’atmosphère est studieuse. Autour de la table, douze adultes planchent. L’un suçote un crayon, les yeux dans le vague. L’autre est scotchée à sa copie, le feu aux joues. On écrit sur une feuille quadrillée, sur un cahier d’écolier ou on pianote à l’ordinateur. Personne ne touche à la pyramide de croissants au fromage, ni aux sablés aux dattes, censées nous aider à trouver l’inspiration. Ici, ça bosse.
C’est mon second atelier d’écriture au Liban. Nous sommes réunis pour le week-end dans immense appartement à Hazmiyé dans la banlieue de Beyrouth. Les participants sont libanais (sauf moi), francophones et la plupart profs. Mais on compte aussi un neurochirurgien qui parle du suicide, rit beaucoup, écoute des cantates de Bach lorsqu’il écrit et danse pendant les pause sur Billy Holliday. Il y a aussi une employée d’assurance discrète et transparente. Une psy qui n’en finit pas de nous raconter des histoires de meurtres où gicle l’hémoglobine tirées de scènes traumatisantes qu’elle a vécues en Côte-d’Ivoire. Et enfin, Brenda qui boude. Drôle de fille. La cinquantaine rebelle, masculine, elle est sans apprêt au physique comme au moral. Lorsqu’elle accepte de baisser la garde, Brenda livre des pépites littéraires, pleines de saveur. Mais la plupart du temps, elle refuse soit d’écrire, soit de lire. Et n’hésite pas vous envoyer bouler, non par méchanceté mais par lucidité aiguë et goût de la vérité ! Interrogée par le groupe sur les raisons de ma présence au Liban et alors que je dissertais sur mon attachement à ce pays en dépit des rumeurs de guerre, elle m’a lancée : « c’est facile, quand on est pas impliqué ». Bingo, c’est juste Brenda.

Pour commencer l’atelier, l’animatrice Georgina, lit de brefs extraits d'auteurs célèbres ou méconnus, tel un chef d’orchestre faisant tinter le diapason pour donner la note aux musiciens. Puis, elle propose d’écrire une suite de « fragments » sur le thème du week-end : la couleur. J’ai choisi le vert sans l’attacher à la symbolique trop immédiate de la renaissance, de la vie, de l’espoir etc. Vous savez le houx, le cyprès, le sapin de Noël ! Non, pour moi le vert rime avec colère. Sa gamme chromatique exprime bien la palette variée des courroux. Il est des colères enfantines, vert anis, d’autres graves, vert bouteille ; certaines pleine de peps, comme une menthe à l’eau, d’autres collantes, gluantes comme des algues… Le vert me stimule…la colère aussi d’ailleurs !
Ecrivains du dimanche, on soupire tous au début comme à l’école. Puis une densité s’installe dans le salon. A la fin du temps imparti, chacun se récrie pour grappiller quelques minutes et trouver une chute à son historiette. On se soumet alors à la séquence de lecture avec commentaires « bienveillants » (c’est la règle même si les participants peuvent émettre une suggestion). En lisant à haute voix, on se dévoile, même s’il s’agit d’une fiction. Des voix tremblent. C’est l’émotion. Chaque texte décline une couleur, le gris, le jaune, le rose, le noir quand soudain, sur le parquet du salon, entre le tapis perse et les canapés en cuir, se dessine un élégant arc-en-ciel. Les cieux sont poètes.
Mais la sonnerie d’un portable rompt brutalement la magie de l’instant. Des tirs d’armes automatiques ont été entendus, il y aurait des échauffourées vers Mazraa et Ras el-Nabeh. On descend vite de l’Olympe. Georges fait un détour pour éviter le quartier où s’est déployée l’armée.

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