lundi 17 septembre 2007

Charles, Gaby, Bilal

La Bonne Cause
Charles est un saint. Il lutte contre les grandes et les petites misères du monde et du Liban : droits de l’Homme, orphelins, réfugiés… Sur tous les fronts, il a créé une école pour scolariser les enfants nés d’unions fugaces entre les « bonnes » étrangères (Philippines, Sri lankaises, Ethiopiennes…) et ces hommes de nationalités diverses qui ont en commun de ne pas laisser d’adresse après « l’heureux » événement. Lorsque la mère est en plus renvoyée dans son pays d’origine suite à l’expiration de son visa de travail, certains gamins se retrouvent seuls à la rue. L’association de Charles s’appelle Insan. Même rémunérés au lance pierre, voire pas payé du tout, les enseignants doivent disposer de locaux et de matériel. Charles frappe donc à toutes les portes pour trouver des sous. Or l’an dernier, de généreux Norvégiens admiratifs de son travail ont proposé un gros chèque. Formidable, sauf qu’en ce moment ce sont les réfugiés irakiens qui font la Une des médias, émeuvent les donateurs étrangers et par ricochet drainent l’argent des bailleurs. Tant pis pour les enfants de ces « bonnes », esclaves des temps modernes échouées au Liban. Les Norvégiens ont bien spécifié que le gros chèque était essentiellement destiné aux petits Irakiens. Pour encaisser l’argent, Charles a du développer un autre programme au risque de laisser un peu en plan sa première association dont malheureusement personne ne s’occupe. Il existe ainsi une bourse des causes humanitaires dont nous - journalistes, militants, associatifs, donateurs – déterminons les cotations au titre d’actionnaires plus ou moins avertis.

Les Bonnes de Beyrouth
Elles viennent de Sri Lanka, des Philippines, d’Ethiopie, sont importées par des agences qui conservent leur visa comme dépôt de garantie puis les mettent en contact avec des familles libanaises. Logeant souvent à demeure, ces femmes s’occupent des enfants, du ménage, de la cuisine... Il y a quelques années, Fawaz, originaire d’une grande famille saoudienne, m’avait confié sans vergogne que c’est « sa bonne » qui l’avait dépucelé… A., journaliste syrien habitant Beyrouth, me racontait qu’un jour, sa serviette étant tombée du balcon, il a frappé chez son voisin du dessous et la bonne lui a répondu que la serviette était là mais qu’elle ne pouvait lui ouvrir car ses patrons fermaient la porte à clés la laissant à l’intérieur. En janvier, au moment des soldes, des annonces paraissent dans les journaux pour vanter les discounts : on brade les bonnes. Et tout récemment, la tante de G, se lamentait de la perte de sa « Sri lankaise éthiopienne, une catasttttophe, c’était une vrrrraie perrrrle ! » Quand Sri lankaise devient synonyme de femme de ménage, ce système rime alors avec esclavage.

Amour toujours
Sur le dossier du siège dans le bus qui me conduit à Saida, comme sur toutes surfaces planes dans le monde, fleurissent les graffitis : Mohammed aiment Salma, Abdallah attend Leila… Des petits cœurs entourent ces mots doux et je note une adresse e-mail rigolotes : Enriqlesias@hotmail.com, vous avez dit Hot ?

Expo à Saïda
Destinée à montrer le visage pacifique de l’Islam en Grande Bretagne, et les vertus du modèle d’intégration anglais l’exposition des photos de Peter Sander (photographe né à Londre en 1946 et devenu musulman dans les années 70) est installée dans le Khan el Franj de Saida, un caravansérail transformé en centre culturel. On y voit un portrait de Cat Stevens converti et « rebaptisé » Yusuf Islam avec son chat qui, lui, a conservé son nom : Sergeant Pepper ; le prince Charles visitant une école coranique ; une église anglicane transformée en mosquée ; un styliste dessinant des vêtements islamiques ; un chirurgien musulman officiant avec ce commentaire sous la photo : « Votre cœur est entre ses mains ». Tous musulmans, offrant l’image d’un islam bien intégré dans la société britannique. L’affiche de l’expo montre même une jeune femme aux yeux bleus voilée dans le drapeau anglais ! Intéressante certes mais un peu too much cette initiative soutenue par la British Embassy. Elle tombe trop à pic pour être honnête. L’Angleterre décriée dans le monde musulman pour son engagement militaire en Irak cherche visiblement à améliorer son image. Est-ce vraiment le rôle d’un artiste de correspondre si parfaitement à la stratégie de communication de son gouvernement ?

La Ballade de Bilal
Ce soir, dîner avec deux Libanais : Gaby le jésuite et Bilal, un magistrat chiite. Ce dernier nous emmène dans un immense restaurant traditionnel situé sur la route de l’aéroport. Le bâtiment en pierre blonde magnifiquement restauré dispose d’une vaste cour avec une fontaine. Il appartient à une fondation pieuse gérée par le Cheikh Fadlalah, leader spirituel des chiites : il n’y a pas d’alcool mais des narghilés, beaucoup de femmes voilées, une ambiance familiale et une nourriture délicieuse. Les bénéfices profitent aux orphelins et aux pauvres chiites, communauté religieuse la plus nombreuse du Liban. Nous dégustons des galettes de thym et de fromage frais, du taboulé et du hommos. Mes deux amis tentent de distinguer les femmes chiites et sunnites d’après le positionnement de leur voile. Mais la mode actuelle des voiles nouées en cagoule transcende les communautés religieuses et brouille les repères traditionnels.
Bilal vient de se fiancer avec une jolie fille qui correspond aux canons de beauté tels que je les ai lus dans les Contes des Milles et une nuit – je vous en conseille d’ailleurs la lecture croustillante dans l’édition en livre de poche avec la traduction de Miquel. Mais revenons à la fiancée de Bilal, à son visage clair comme la lune, ses yeux doux comme ceux d’une biche etc. etc.… Le magistrat, fier la montrer en photos, nous confie sa peur de perdre prochainement sa liberté. Aussitôt, le jésuite le rassure, « c’est normal, tout le monde passe par là, ne t’en fais pas… » Moi je me tais car mes propos ne ferait qu’accroître les doutes de Bilal.
Le juge chiite est également inquiet par les préparatifs du mariage. Son statut l’oblige à inviter des sommités du monde judiciaire, notamment le procureur de la République Mirza. Pour ne pas déroger, il lui faut organiser et financer un mariage à la hauteur dans un grand hôtel aseptisé avec musique à la Jean-Michel Jarre, mariée en meringue assise sur un trône, décor kitsch, bref une soirée qui ne correspond en rien aux goûts et à la personnalité de Bilal. Il aurait préféré un mariage dans son village du sud, mais ici il faut faire de la surenchère dans l’exposition des signes extérieurs de richesse même lorsque l’on n’est pas vraiment riche et que l’on se contente du maigre traitement d’un fonctionnaire.
Après le repas, Gaby nous offre la vue spectaculaire du toit de la résidence jésuite dans le quartier d’Achrafieh. Les religieux ne sont plus que trente à habiter cet immeuble moderne dont la vente rendrait la compagnie de Jésus millionnaire ! Les vocations de l’ordre restent limitées car leurs études sont longues, complexes et les Jésuites apparaîssent encore comme importés de l’étranger contrairement aux moines de Kaslik, par exemple, qui recrutent facilement. « Ils sont plus riches et font du démarchage à l’arrache auprès des familles chrétiennes pauvres du nord Liban, en deux temps trois mouvements un jeune se retrouve prêtre avec un avenir », expliquent Gaby.
Pour finir, Bilal nous ballade dans la nuit de Beyrouth et commente : « ici en février 2005, 1200 kilos de TNT ont pulvérisé le véhicule blindé de l’ex-Premier ministre Hariri, là le journaliste Samir Kassir est mort dans un attentat à la voiture piégée, sur le front de mer c’est la tentative de meurtre du ministre Hamadé etc. » Funèbre litanie…
J’espère que les élections présidentielles de la fin du mois ne vont pas raviver cette vague de terreur.

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