lundi 17 septembre 2007

Premiers jours à Beyrouth

Chez Zico
Je sors de la maison, un mendiant m’offre une rose : j’y vois un heureux présage pour cette année sabbatique.
J’ai investi mon studio à 3 h du matin. Zico, le propriétaire du studio que j’ai loué à Beyrouth vient me chercher à l’aéroport. J’ai vu très vite émerger dans la foule des foulards et des raybanes, son visage de clown triste, un peu fatigué par toutes les guerres dans lesquelles il s’est investi.
Zico a hérité d’une maison familiale levantine dans le quartier de Hamra. Une façade jaune, des volets verts et des terrasses à chaque étage. Au rez de chaussée l’ex milicien a ouvert un bar alternatif et quelques pièces aux sièges de diverses association plutôt de gauche : j’ai vu qu’il y avait un bureau pour des élections démocratiques, ça risque d’être bien vivant à la fin du mois, lors des élections présidentielles.
Mon studio est situé au dernier étage, aussi fatigué que Zico : une gazinière sans gaz, une moquette élimée, des wc bouchés et une baignoire sans paroi, posée en face du lit sur la mezzanine, comme oubliée là. Le rêve absolu du mateur du petit matin.
Zico découpe sa vie en séquences de vingt ans : d’abord tu milites et tu te construits, ensuite tu dragues, tu vas voir à droit à gauche, puis tu te maries et tu fais un enfant… Après il sait pas bien Zico mais ne manque pas de signaler que je fais tout à l’envers.

Déjeuner au Chef
Le restaurant du Chef est une institution à Beyrouth. Populaire, il existe depuis les années cinquante. Une entreprise transmise de père en fils, aujourd’hui le gérant c’est Charbel. Dans le quartier de Gmayzé, en pleine boboisation, Le Chef est un îlot indémodable où l’on mange une cuisine de famille, franco orientale au coude à coude avec un ouvrier du coin, un archéologue allemand, un ancien présentateur de télévision…. Le resto de Charbel c’est Babel. En tablier blanc, le Chef lance les commandes à une volée de jeunes serveurs qui s’empressent de verser un jus d’orange frais et de présenter un ravier de navets vinaigrés. Je ne commande plus, Charbel connaît par cœur mon menu préféré. La première fois que j’y suis venu en 1998, je fus placée d’office en face d’un Français prénommé Didier. Charbel en a conclu que c’était un ami proche, voire intime et me demande désormais à chaque visite « comment il va monsieur Didier ? » J’ai beau lui répéter que je n’ai jamais revu ce Didier rencontré pour la première fois chez lui… il ne veut rien entendre. Lasse, je finis par lui répondre que monsieur Didier va bien mais qu’il est resté à Paris. Et de temps en temps je brode : « Ah monsieur Didier fait des affaires dans le Golfe ou Monsieur Didier est au chômage le pauvre »

Equiper le studio
Georges m’emmène au BHV/Monoprix de Beyrouth pour acheter quelques cintres, des prises, une armoire etc. Le BHV est un complexe tout neuf digne des plus grands malls américains. Dans le parking, chaque voiture est passée au filtre d’un détecteur de bombe. Les prix sont exorbitants même pour un Européen. Devant mon air dubitatif, Georges propose une alternative : la banlieue sud chiite où s’entassent quantités de petites baraques de menuisiers, électriciens, quincailliers. Partout dans le quartier est affiché le portrait de Nasrallah, le leader du Hezbollah. Quelques urnes de bienfaisance jaune et bleu en faveur des déshérités me sont familières. Je voyais les mêmes en Iran.

De l’amour au Liban
B a quitté M après six ans de vie commune et de militantisme en duo. Ça soude un couple de militer ensemble ? ou ça le mine ?
B est musulmane chiite et M chrétien maronite. Ils en ont parlé, se sont affrontés aux réticences des parents, ont fini par décider de se marier… avant de se séparer. Tout le monde traduit cette séparation au prisme du clivage communautaire. Il n’était pas de la même religion, ça ne pouvait pas marcher. CQFD. Or hier, devant un verre, B m’avoue que M la trompait et c’est pour ça qu’elle est partie. Ainsi naissent les rumeurs et se renforcent les préjugés confessionnels lorsque la grille de lecture dominante publique et privée est confessionnelle.

Toujours au registre des amours, B vient d’être témoin à un mariage. Ça lui a coûté 330 dollars, trois jours de disponibilité et pas mal de démarches administratives. Au Liban, on se marie devant son leader religieux, le mariage civil n’existe pas. Pour ceux qui veulent contourner ce problème (et notamment pour les couples mixtes), une solution : aller à Chypre où l’acte est enregistré par l’administration chypriote, transmise au ministère des affaires étrangères puis à l’ambassade du Liban et enfin à Beyrouth. B me raconte que dans la salle d’attente de la mairie de Larnaca elle a rencontré un couple d’Israélien (le Liban est toujours en guerre avec Israël et le dernier conflit de l’été 2006 a ravivé les plaies). En Israël non plus le mariage civil n’existe pas…
Il y a dix ans, le gouvernement libanais a tenté de réformer l’institution maritale mais les chefs religieux musulmans et chrétiens s’y sont très vite opposés.

« Ah ma cherrrrie, le marrrriage coûte une forrrrtune ici», s’exclame mon ami libanais Gabriel. Jésuite, installé en France pendant 18 ans, Gaby vient d’être envoyé en mission par le provincial dans la plaine de la Bekaa, en plein fief Hezbollah. Lui qui adorait l’opéra, le voici isolé dans les champs (pendant la guerre et même après, on cultivait le hashish qui finançait les achats d’armes, aujourd’hui, je ne sais pas, j’irai voir)
« Tu te rends compte, pour le cadeau de mariage, il faut dépenser minimum 100 dollars !!!!, se plaint Gaby, moi je m’en fiche, j’ai fait vœu de pauvreté alors je paie pas »
Il m’invite à venir le voir dans la Bekaa, on parlera d’opéras….

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