vendredi 19 octobre 2007

Ali le teinturier

Quand il fait 25 à 30° C dehors, la température frôle les 40° C dans son pressing ; À son accent traînant, j’ai supposé qu’il était d’origine syrienne. Tard le soir, Ali s’agite au-dessus des chemises et pantalons en maniant le fer à repasser comme un escrimeur son épée. Le fer, qui pourrait tout à fait trouver sa place dans une brocante normande, ressemble à celui avec lequel ma grand-mère dans le Nord nous préparait ses fameuses tartines à la cassonade : on prend une épaisse tranche de pain, on la beurre généreusement, on ajoute une couche de cassonade et on recommence avec une autre tartine pour former un sandwich que l’on presse sous le fer chaud. C’est un délice et une digression que seul peuvent excuser mon exil et un instant de nostalgie régressif.
Bref, mon voisin Syrien habite depuis vingt-cinq ans une pièce unique contiguë à son pressing où il dort et dîne. Le décor est sommaire : un matelas par terre, un frigo de guingois, un vieux buta et une télévision flambant neuve qui diffuse à toute heure les programmes d’Al Manar, la chaîne du Hezbollah. Ali a le mal du pays mais n’a pas « sa carte » (celle du Baath, le parti au pouvoir). Pour le boulot ça pose problème. Il me tend une cigarette et une cuillère pour que je touille moi-même le café qui accompagne toute bonne conversation. Lui se dépêche de finir la pile de linge pour rentrer le soir à Iblid, au Nord de la Syrie, où il va fêter l’Aïd (fin du Ramadan). Me sentant mal à l’aise dans sa chambre, il transbahute tout l’attirail dans le pressing et me rassure : « tu sais je suis un bon musulman »...
Je profite de l’ouverture pour savoir à quelle communauté précisément il appartient observant que la figure du leader chiite Nasrallah est accrochée au dessus de sa literie, là où chez ma grand-mère (celle du Nord qui preparaıt les tartines a la cassonnade) accrochait un crucifix.
Non je ne suis pas chiite, répond-il laconique
Sunnite ?
Non !
Alaouite ?
Non !
Druze ?
Non !
Devant mon air interloqué, Ali récite la Fatiha : « Il n’y a de Dieu que Dieu et Mohammed est son prophète. » Autant pour moi.

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