mercredi 31 octobre 2007

La Beqaa

En arabe, la Beqaa signifie « tachetée », référence à la vocation agricole de cette région coincée entre le Mont Liban et l’Anti-Liban qui confère au paysage l’aspect d’une marqueterie colorée de champs et de vergers. Qu’on l’appelle plaine, plateau ou vallée, la Beqaa a toujours été un lieu de transit, de commerce et de trafics. Cette année encore, la récolte de hashish profite, paraît-il, de l’absence relative de l’armée occupée, dans le Nord, à « nettoyer » le camp Palestinien de Nahr el Bard de la présence du groupe Fatah al Islam – opération qui s’est soldée par ailleurs de lourds dommages collatéraux pour les civils mais c’est une autre histoire.

F et son mari m’invitent à passer le week end à Karak, un village de la Beqaa où elle possède une maison de famille. Elle n’y a pas vécu longtemps. Son père, agent d’Interpol, avait raisonnablement préféré déménager la famille dans une autre région pour éviter que sa progéniture ne côtoie de trop près les gros bonnets du trafic de hashish, proies potentielles du papa. Le père de F est décédé et sa fille reste attachée à leur grande maison blanche et à son jardin désormais délaissé, où vivotent un arbre à Kaki et quelques roses.
Nous avalons un copieux petit déjeuner de knefé (délicieux dessert à base de kadaif et de fromage), avant d’attaquer le mont Sannine qui culmine à 2600 m d’altitude. Sur le chemin fleurissent des crocus translucides, des chardons jaunes paille et quantités de douilles rouges, vertes et bleues, sinistres traces des trop nombreux chasseurs qui se sont donnés rendez-vous dans la montagne tôt ce dimanche. Ça pétarade de partout.
D’autres douilles métalliques sont plus anciennes. Elles datent peut-être de la guerre civile, lorsque les batteries de l’armée syriennes encerclèrent la ville de Zahlé tenue par les Forces libanaises (milice chrétienne).

Le vent souffle sur les crêtes. Au loin, émergent des montagnes bleutées : le Golan syrien à gauche et l’israélien à droite (l’Etat hébreux occupe ces hauteurs depuis 1967). En 1983, en pleine guerre civile libanaise, une parente du mari de F, française et franciscaine, réussissait à passer la frontière aujourd’hui fermée entre le Liban et Israël. A l’age de 60 ans, la religieuse avait quitté sa Normandie pour marcher jusqu’à Jérusalem en traînant une petite charrette derrière elle. Auparavant, en 1948, un parent de F, commerçant entre Beyrouth et la Palestine s’était trouvé quant à lui coincé dans la tourmente du conflit israélo-arabe. Jamais il n'est rentré de son voyage d’affaire. J’écoute ces récits de famille qui rendent les guerres plus humaines et plus inhumaines.
Dans l’azur, deux traces blanches parallèles signalent le vol totalement illégal d’avions militaires israéliens au dessus du territoire libanais. Après un large virage, ils disparaissent à l’horizon. En bas, les carabines se sont tues. Tous les chasseurs rentrent à la maison. Nous, au sommet, on écoute le silence et le murmure de nos pensées.

Avant de quitter la Beqaa, une visite s’impose : la tombe de Noé, à Karak (oui oui, le Noé du Déluge est enterré au Liban, même si son arche a échoué sur le sommet du mont Ararat en Turquie). Enfant, je chérissais particulièrement ce prophète barbu, sauveur de nos amis les bêtes, que j’assimilais facilement à un héros de Walt Disney (je m’étonne d’ailleurs que les célèbres studios américains n’aient pas encore transformé en dessin animé cet épisode de la Genèse avec son incroyable potentiel animalier. Imaginez Gros minets et Titis cote à cote dans les soutes de l’arche, Speedy Gonzales vibrionnant sur le pont et les Trois petits cochons perchés en haut du mat pour échapper au Loup garou…). Il faudra tout de même que je relise la Bible pour vérifier un détail : quelle est la taille de mon héro favori sachant que sa tombe à Karak mesure 20 mètres de long sans compte que son corps est plié en chien de fusil à l’intérieur du cercueil. Aucun doute, Noé est un grand bonhomme.

Mieux que l’Arche de Noé, dans une famille de la Beqaa, vivent sous le même toit, Lahoud, Geagea, Chirac et Bachar… Maziad Oqla, père de neuf enfants a en effet donné à ses fils les noms d’hommes politiques célèbres, libanais, français et syriens, dont certains sont de farouches ennemis (Lahoud et Geagea ou Chirac et Bachar al Assad). L’une des filles de ce fermier se prénomme Irhab (terrorisme) ayant eu l’heur ou le malheur de naître peu après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Hariri. Quant à l’enfant à naître, le père de cette étrange famille attend l’élection du prochain président pour choisir son prénom. Et si jamais, faute d'accord entre majorité et opposition et comme le prédisent les oiseaux de mauvais augures, le Liban se retrouvait avec deux chef d'Etat, comment s'appellerait le benjamin des Oqla ?

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