lundi 22 octobre 2007

L'hirondelle de Byblos

Tant de mythes hantent les ruines de Byblos. Adonis y agonise et son sang s’égouttant sur la terre fertile se transforme en mille bouquets d’anémones.
L’histoire d’Isis et d’Osiris m’interpelle parce qu’elle met en scène une hirondelle, cet oiseau qui me sert de pseudo depuis le début de mon blog. La fable est rapportée par Plutarque au 1er siècle après JC. Il était une fois Osiris tué par Seth, un dieu égyptien. Sa dépouille est placée dans un cercueil de bois jeté sur le Nil. Emporté par le courant, le cercueil échoue dans les racines d’un tamaris à Byblos. Le roi local Malcandre décide de couper l’arbre pour soutenir le toit de son palais. Entre-temps, la belle Isis a retrouvé la trace de son défunt amant grâce à ses dons divins et pénètre dans le palais du roi Malcandre, métamorphosée en hirondelle. Chaque jour, elle volette amoureusement autour de la colonne avant de reprendre forme humaine et de s’effondrer en larmes au bord d’une fontaine. La reine s’émeut de son chagrin et l’aide à récupérer le tronc de tamaris avec le cercueil d’Osiris. Une histoire d’amour, de mort, de deuil impossible tant que l’on ne retrouve pas le corps du disparu… Elle résonne pertinemment sur cette terre libanaise où tant de personnes ont « disparus » pendant et après la guerre civile de 1975-1990. Je me souviens d’une femme dont le mari kidnappé par une milice n’avait jamais été retrouvé. Elle n’était ni veuve ni épouse, juste seule et perdue. Pendant plus de vingt ans, à chaque annonce de libération de prisonniers, cette femme espérant retrouver son mari achetait des fleurs et se rendait chez le coiffeur. Elle participait à un sit-in dans le centre ville avec d’autres épouses ou mères de « disparus », tenant en main ce qui leur restait du passé : un portrait que certaines avait retouché avec le logiciel photoshop afin de vieillir un peu les traits de l’être aimé. Elles « voletaient » elles aussi autour d’un palais, celui de l’Escaw pour tenter d’obtenir un appui international dans leurs recherches. De leur côté, les responsables politiques libanais n’ont jamais vraiment traité la question, essayant au contraire de l’enterrer à coup de commissions d’enquête aux conclusions floues et parfois sciemment mensongères. De l’argent fut même proposé en échange d’une signature comme quoi les familles de disparus reconnaissaient le décès de leur proche. Ces femmes tenaces et courageuses qui manifestaient en plein centre ville alors que l’occupant syrien était encore présent me font penser à la fidèle Isis. Elles n’ont malheureusement jusqu’à présent jamais trouvé de reine qui, comme dans la fable de Plutarque, les écoute et accède à leur demande d’enquête.
Quant à mon pseudo l’hirondelle, c’est mon amoureux qui me l’a offert avant mon départ. En principe, une hirondelle revient et ne va pas établir définitivement son nid au Moyen-Orient…Pour le moment, je le rejoins d’un coup d’aile une semaine à Istanbul.

1 commentaire:

Nanou Chergui a dit…

Il y a un très bel ouvrage de Stephan Fady, écrivain et archéologue libanais dont la 1ere partie, au moins, traite du mythe d'Osiris et de sa venue à Byblos... "Le Berceau du Monde Paris-Opéra"
Au-delà, son intérêt est d'interroger la thèse d'Edouard Saïd (pour faire court : l'Orient se serait vu imposer ses propres représentations culturelles par l'occident) sur les relations Orient-Occident : Stephan Fady considère que, contrairement à la pensée de Saïd, l'Orient est bien plus le terreau/berceau d'où tous nos mythes à nous autres occidentaux découlent... Bon voyage, belle hirondelle.