mardi 9 octobre 2007

Week end dans une famille libanaise

Son sourire éclaire un visage aux traits réguliers, aux sourcils bien dessinés qui parfois se ferme comme assailli par une infinie tristesse. J’ai connue Antoinette Chahine en 2000, à Paris.
Ex-prisonnière d’opinion adoptée par Amnesty International, elle venait remercier tous ceux qui avaient écrit des lettres par milliers pour demander sa libération. Mais que l’on soit prisonnière politique ou de droit commun, devient-on vraiment« ex » à l’issue d’une longue détention.
Elle avait 20 ans, au moment de son arrestation. Un procès manipulé, scellé par une condamnation à mort, commuée en prison à perpétuité. Petite dernière choyée d’une famille de Byblos, la jeune fille s’est réveillée en plein cauchemar à la prison de Baabda. J’ai visité ce centre de détention pour femmes, sans fenêtre, ni cour. Faute de place, les prisonnières, toutes peines et tous âges confondus, – y compris des mineures - dormaient tête-bêche. Antoinette se souvient d’une prisonnière en stade terminal de cancer et d’une autre quotidiennement en état de manque… Grâce à une mobilisation internationale, mon amie a bénéficié d’un nouveau procès dont elle est sortie acquittée. Après cinq ans au trou.
En France, elle a multiplié les conférences où son témoignage poignant émouvait aux larmes les militants de mouvements contre la peine de mort. Moi, je me demandais si cette répétition de son passé douloureux ne la maintenait pas dans une autre prison : son statut de victime. Où se trouvait la personne Antoinette Chahine. Certes, à Paris, elle suivait des cours de français mais semblait toujours focalisée sur un seul sujet. J’ai honte aujourd’hui, mais je m’agaçai presque - même tout à fait je plaide coupable – de l'exposé qu’elle avait choisi de présenter en classe et pour lequel j’avais proposé mon aide. C’était un plaidoyer de Victor Hugo contre la peine de mort. Impossible de l’emmener au cinéma. Difficile de la sortir du militantisme. J’avais oublié le baume du temps et la nécessité pour cette jeune femme de donner du sens à ces cinq années volées. Antoinette a fini par rentrer au Liban où elle a épousé un ami d’enfance, frère des deux maris de ses sœurs. Tout ce petit monde habite un mouchoir de poche à Byblos et possède des maisons d’été dans la montagne… également contiguës ! Chaque semaine, ils retrouvent chez l'un ou l'autre pour le déjeuner dominical, autour de la mama sauf un frère milicien Force libanaise exilé en Australie. Un cocon protecteur contre le malheur.
Joseph, le mari d'Antoinette est nettement plus âgé qu'elle. Il travaille comme surveillant général payé 700 dollars par mois. Pour compléter ce maigre salaire Zouzou (c'est le surnom de tous les Joseph au Liban) construit des cheminées et entretient un vaste verger où poussent avocats, bananes, mangues, tugnella et un fruit à la chaire blanche et suave qui ressemble à une grenade (l’arme pas le fruit). Leurs poules fournissent les œufs, les ruches du miel et les vignes une piquette !
Après quelques nuits beyrouthines dans les bars enfumés en compagnie de poètes et d’esthètes, ce climat familial est apaisant. Levées tôt, Antoinette et sa mère s’affairent autour du repas : pistaches, tabboulé, salade de thym, hommos, kebbé nayé (tartare d’agneau cru aromatisé et mélangé avec du bourghoul), brochettes de poulet. Trois ou quatre heures de préparation pour ces mets si vite engloutis. L’opiniâtreté des cuisiniers dépensant tant d’énergie et de temps pour un combat perdu d’avance m’a toujours impressionnée. La ménagère coupe, découpe, pétri, épluche, sépare le blanc du jaune… Mais bientôt, notre tube digestif ingrat réduit à néant ces compositions savantes, notre estomac transforme en bouillie ce travail méticuleux. Tout ceux qui préparent les repas sont des Sysiphe admirables d’abnégation. '(Serais-je en train de concoter une plaidoirie pro domo afin de m’absoudre de mes piètes talents de cuisinières…)
Après le mezzé trop copieux, le temps s’écoule entre café, thé, fruits, jus, Zouhourat (tisane) distillant ce léger ennui des chaudes après-midi sans sieste, sans conversation particulière, juste le bonheur tranquille d'être en famille.

1 commentaire:

Brigitte a dit…

Bonjour mon amie,
Tu ne dis pas ce qu'est devenue Antoinette sur le fond. A-t-elle pu passer l'épreuve et orienter sa vie vers autre chose ? A quoi occupe-t-elle son temps aujourd'hui ? Tu donnes envie d'en savoir plus sur ce que peux devenir un être humain qui a vécu une telle souffrance ?
Tendresse