lundi 22 octobre 2007

Istanbul – Fragments

L’onde scintille dans sa robe lamée
Le flot engloutit la fin de la journée
A l’horizon s’effiloche un nuage, écharpe écarlate
Ses franges se perdent dans les cieux violacés
Les mosquées opalescentes disparaissent
Seules demeurent leurs corolles éclairées
C’est la fin du monde, chuchote mon amoureux
Je goûte le sel d’une larme
Premier soir et premier matin à Istanbul.

Les pêcheurs lancent leurs lignes du pont Galata
Les bateaux se frôlent sur le Bosphore
Au bord de la Corne d’or, le poissonnier vend à la criée ses maquereaux, sardines et rougets
Quand il hurle les prix
Il infléchit sa voix et l’on dirait qu’il psalmodie
Assis sur de minuscules tabourets
On partage un sandwich ou une friture
On se rince la bouche au jus de grenade
Et l’on fait tinter nos cuillères sur les bords en bulbes de nos verres à thé
Les mouettes jalouses rient de nos baisers

Les muezzins s’époumonent
Allah Akbar
La salle de prière déborde dans la rue
Le croyant s’agenouille.
A Eyüp, le silence et le voile sont de rigueur face aux reliques saintes :
L’empreinte du prophète, le tombeau de son compagnon
dans leur écrin de céramiques bleu et rouge
Pourquoi si peu de femmes et tant d’hommes à l’heure de la prière?
Au son du nay et du tambour, le derviche tourne une main vers le ciel et l’autre vers la terre
Il se détache de son ego, communie par sa danse avec l’Unique
Sourire extatique
L’amour que l'on porte à quelqu'un est-il le reflet de l’amour divin
En s’approchant de l’un apprivoise-t-on l’autre?

Dans le passage souterrain de Karakoy
Les marchands vendent des armes automatiques pour 25 000 lires
Elles semblent vraies mais sont fausses
Seuls les adultes se pressent pour « essayer » ces joujous inutiles
Au beau milieu du souk des hommes âgés ploient sous la charge
Sacs de jutes, de plastiques, caisses, barriques
Les marchands vantent le fromage jaune de Kars et le blanc sec en forme de tresse d’Urfa.
Mon amoureux est un gourmand qui aime la vie et ne résiste ni aux abricots secs, ni aux pistaches, ni aux kakis sucrés, ni aux simits saupoudrés de sésames que relève le goût aigre d’un Ayran bien frais.
Mon amoureux est vigilant. Quand un taxi jaune poussin, un car de touristes, un 4x4 prétentieux passe en trombe, voire même se déporte pour faucher la piétonne distraite, il fonce et l'on se sent soudain soulevé, sauvée ! Sa nonchalance est une feinte. Il capte tout, y compris le clin d’œil égrillard d’un vieux turc ou le sourire appuyé d’un marchand de tapis… « Je suis un renard de surface », m’a-t-il dit un jour en souriant.

A Istanbul, je lis un livre sur le pardon dans la collection Autrement. Deux citations me fascinent. La première me rend optimiste, la seconde me décourage...

« Tout mal commis par l’un est mal subi par l’autre. Faire le mal, c’est faire souffrir autrui. La violence ne cesse de refaire l’unité entre mal moral et souffrance. Dès lors toute action, éthique ou politique, qui diminue la quantité de violence exercée par les hommes les uns contre le autres diminue le taux de violence dans le monde. Que l’on soustraie la souffrance infligée aux hommes par les hommes et on verra ce qui restera de souffrance dans le monde ; à vrai dire nous ne le savons pas, tant la violence imprègne la souffrance » Paul Ricœur

« Il est bien possible qu’un pardon pur de toute arrière-pensée n’ait jamais été accordé ici-bas, qu’une dose infinitésimale de rancune subsiste de fait dans la rémission de toute offense : tel cet impondérable calcul, tel ce motif microscopique d’intérêt propre qui subsistent en cachette dans les souterrains du désintéressement.
Le pardon est une limite dont on se rapproche asymptotiquement sans jamais l’atteindre en fait »
Vladimir Jankélévitch

Pendant cette semaine stambouliote, une seule information de France filtre notre cocon amoureux : Nicolas et Cécilia Sarkozy ont divorcé.

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